Après quatre mois d’attente, le réalisateur hongkongais primé Kiwi Chow a reçu un courrier redouté, mais qui ne l’a pas vraiment surpris : les autorités de Hong Kong interdisent la diffusion de son dernier film, Deadline.
La carrière de Kiwi Chow, cinéaste de 46 ans, a débuté en 2015 avec le récit primé d’un Hong Kong dystopique; la suite illustre la manière dont l’industrie cinématographique de la ville, autrefois réputée pour son audace et son humour sarcastique, s’est peu à peu bridée. Son dernier projet, Deadline, raconte l’histoire d’une école d’élite secouée par des avertissements de suicide imminent, a expliqué le cinéaste.
Il a annoncé cette semaine sur ses les réseaux sociaux l’«interdiction» de ce thriller qu’il décrit comme une allégorie, tourné à Taïwan mais se déroulant dans un «monde imaginaire». Les autorités «ont estimé qu’il était « contraire aux intérêts de la sécurité nationale »… Mais en quoi? Personne n’a donné d’explication», a déclaré le réalisateur, qualifiant cette décision d’«absurde».
Pékin a imposé à Hong Kong une loi sur la sécurité nationale en 2020, après d’importantes et parfois violentes manifestations prodémocratie. Les textes sur la sécurité nationale prévoient des peines de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité pour des infractions telles que la trahison et l’insurrection. Ils ont mis fin à une grande partie des libertés et garanties juridiques dont bénéficiait Hong Kong, territoire sous domination britannique jusqu’à sa rétrocession à la Chine en 1997, dont elle est désormais une région à statut administratif spécial. Dans la foulée, en 2021, les règles de censure cinématographique ont été renforcées. «Si cela concerne la situation politique réelle de Hong Kong, absolument personne ne fera de film à ce sujet», a déclaré Kiwi Chow, ajoutant que l’autocensure s’était aussi renforcée dans l’industrie du cinéma.
Sacrifice et valeurs
Interrogé au sujet de Deadline, le Bureau de l’administration des films, journaux et articles de Hong Kong n’a pas souhaité faire de commentaires. Hong Kong n’avait interdit aucun film entre 2016 et 2020. Mais les autorités ont interdit 13 films pour des raisons de sécurité nationale entre 2021 et juillet 2025, tandis que 50 films ont été «contraints d’être modifiés», a déclaré le Bureau. Pour Kiwi Chow, son film n’a probablement pas été écarté en raison de son contenu, mais ses années passées à faire fi des interdits de Pékin l’auraient placé sur une liste noire officieuse. Pendant le tournage de Deadline, «je me suis senti très seul», a confié le réalisateur.
Tant que mon film peut être tourné à Hong Kong, je n’abandonne pas
Film fait de cinq courts métrages, Ten Years est sorti le 17 décembre 2015 à Hong Kong. Il dépeignait une version dystopique de la ville qui s’inspirait du sentiment de malaise général face à l’autorité croissante de Pékin. Dix ans plus tard, Kiwi Chow, qui a réalisé l’un de ces courts métrages, se souvient des foules qui se pressaient aux projections communautaires lorsque des cinémas grand public ont refusé de diffuser l’œuvre, primée en 2016 à Hong Kong. «Pour beaucoup de gens, Ten Years dépeignait la situation difficile de Hong Kong (…) et la manière dont les libertés pouvaient être perdues», explique Kiwi Chow.
La partie qu’il a réalisée, intitulée Self-Immolator («Celle qui s’immole»), se termine par une scène montrant une femme âgée s’asperger d’essence et allumer un briquet. «L’auto-immolation était un symbole de sacrifice. Je voulais demander aux Hongkongais : « Dans quelle mesure êtes-vous prêts à vous sacrifier pour des valeurs telles que la liberté et la justice? »», a-t-il expliqué. Les manifestations prodémocratie de 2019 furent sa réponse. D’une ampleur et d’une violence sans précédent dans la ville, elles ont conduit à plus de 10 200 arrestations et plus de 200 condamnations en justice.
Des soutiens à Taïwan
Kiwi Chow, alors occupé par un drame romantique, a toutefois tourné de nombreuses séquences des manifestations, qui allaient devenir le documentaire Revolution of Our Times. Le film a été présenté en avant-première au festival de Cannes en juillet 2021, mais Kiwi Chow n’a jamais essayé de le projeter à Hong Kong et a conservé l’anonymat de toute l’équipe de production. «Après avoir réalisé Revolution of Our Times, je m’attendais à ne plus pouvoir faire de films pendant assez longtemps et j’étais mentalement préparé à aller en prison», a-t-il déclaré.
Le cinéaste n’est pas allé en prison, mais investisseurs et collaborateurs lui ont tourné le dos, condamnant presque son nouveau film, Deadline. Aucune école hongkongaise n’a accepté d’accueillir son tournage, l’obligeant à déplacer la production à Taïwan, où le film est sorti le mois dernier. Des soutiens hongkongais de Kiwi Chow se sont rendus à Taïwan pour assister à des projections spéciales de Deadline. L’un des organisateurs a déclaré avoir été fouillé par les douanes à son retour. Interrogées, les douanes de Hong Kong ont refusé de commenter.
Malgré la censure de plus en plus courante à Hong Kong, Kiwi Chow a déclaré qu’il ne voulait pas «abandonner» la ville. «Je devrais peut-être réduire mon budget ou modifier le scénario», a-t-il déclaré. «Tant que (mon film) peut être tourné à Hong Kong, je n’abandonne pas.»