Une note d’espoir pour couronner une vie de cinéma ? Plus que jamais, «il existe un chemin» pour changer les choses, assure le réalisateur britannique Ken Loach, de retour en salles avec The Old Oak.
Après deux films assez sombres, I, Daniel Blake (2016) et Sorry We Missed You (2019), le cinéaste Ken Loach, 87 ans, deux fois lauréat de la Palme d’or et héros du cinéma social européen, signe une ode à la solidarité. Présenté au festival de Cannes en mai, le film était reparti bredouille à l’exception d’une Palm Dog symbolique (un prix indépendant remis à Ken Loach pour la place accordée aux chiens dans sa filmographie, et pour le «rôle de premier plan» occupé dans The Old Oak par Marra, une adorable petite chienne noire, symbole d’unité pour les clients du pub). Il avait toutefois reçu un accueil très chaleureux du public, qui y avait vu le possible testament de l’Anglais.
Écrit par son compagnon de toujours Paul Laverty, The Old Oak mêle les destins d’ouvriers déshérités du nord de l’Angleterre et ceux de Syriens ayant fui le régime de Bachar al-Assad. Comment accueillir des réfugiés quand on est soi-même en situation de grande précarité? Telle est la question posée par le film, qui fait majoritairement la place à un casting d’acteurs non professionnels.
Dans cette localité anciennement minière, il n’y a plus rien ou presque : pas d’emplois, peu de commerces et presque aucun endroit pour se retrouver. Comment créer du lien quand les derniers lieux de sociabilité ont tous fermé leurs portes? «Il y a dans ce village, et ailleurs en Angleterre, un sentiment d’abandon, les gens se sentent humiliés», expliquait le réalisateur lors d’une table ronde à Cannes. Pauvreté et déclassement : le décor, lieu commun du cinéma de Ken Loach, montre néanmoins une Angleterre à des années-lumière de la métropole londonienne, avec des habitants dépendants des banques alimentaires. Il aborde également les geôles en Syrie et la torture pratiquée par le régime toujours en place à Damas.
Les classes populaires ne sont pas vaincues. Elles sont toujours là
Le long métrage est pour autant loin d’être sombre. «Sans espoir, vous ne pouvez rien faire. Sans espoir, les gens sombrent dans le désespoir», assurait Ken Loach. «Et le désespoir, c’est la porte ouverte à ce que la droite prenne le pouvoir. Et la droite cherche à nous détruire.» Pour autant, selon lui, «les classes populaires ne sont pas vaincues. Elles sont toujours là.» À l’issue de la première cannoise, le cinéaste, ému face à une standing ovation de cinq minutes, a conclu, le poing levé : «Continuons à nous battre, nous allons gagner.» Paul Laverty a pour sa part expliqué qu’après les deux précédents films de Ken Loach, «on a trouvé qu’il y avait quelque chose d’inachevé (…) On trouvait dommage d’avoir fini sur ces tragédies parce que, plus que jamais, on a besoin de raconter toutes sortes d’histoires».
Témoin impitoyable de son époque, Ken Loach défend, depuis les années 1960, les classes populaires dans son cinéma-vérité. Droit dans ses bottes et ses convictions, quitte à agacer, il a remporté sa première Palme d’or en 2006 avec The Wind That Shakes the Barley, et la seconde dix ans plus tard avec I, Daniel Blake. Ce grand habitué du festival de Cannes y a présenté vingt films, dont quinze en compétition officielle; rien que sur la Croisette, ses films cumulent plus d’une douzaine de prix en tout.
Cheveux en bataille, chemise bleue, le réalisateur de Land and Freedom (1995) et Looking for Eric (2009) n’a jamais renoncé à la simplicité qui le caractérise. The Old Oak sera-t-il son dernier film? «Je n’ai jamais eu envie d’arrêter mais, quand vous vieillissez, il faut savoir le reconnaître», louvoyait-il. Surtout, «vous ne pouvez pas continuer à faire les choses que vous faisiez il y a soixante ans». «Quand vous vous levez le matin et lisez les avis de décès parus dans la presse sans y voir votre nom, c’est déjà une bonne nouvelle.»
The Old Oak, de Ken Loach.