Conclusion supposée épique à une trilogie ratée, Jurassic World : Dominion fait revenir le casting du film de Steven Spielberg sans cesser de mépriser son concept initial.
Toujours aussi pertinent, après trois décennies, le schéma de l’évolution décrit par le sarcastique Pr Ian Malcolm dans le premier volet de la franchise Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993) : «Dieu crée les dinosaures. Dieu détruit les dinosaures. Dieu crée l’homme. L’homme détruit Dieu. L’homme crée les dinosaures.» Mais l’homme ne retient pas les leçons du passé et continue de créer de nouveaux spécimens.
«La vie trouve toujours un chemin», dit encore le personnage interprété par Jeff Goldblum, réplique culte qui, depuis, tient lieu de devise à la saga, et de première excuse pour lâcher encore plus de nouvelles espèces éteintes sur la race humaine. Ce qui arrange bien Hollywood et son business juteux de suites, remakes et «reboots» en tous genres.
Et pour coller à la grande mode du moment, Jurassic World : Dominion, troisième et – espérons-le – dernier volet de la série, déterre le trio d’origine, Alan Grant (Sam Neill), Ellie Sattler (Laura Dern) et, donc, l’incorrigible Ian Malcolm. Un retour réclamé, moins pour leurs connaissances sur les bêtes préhistoriques que pour plaire au public qui ne peut que traiter le film d’origine avec respect.
La bonne chose est que, contrairement aux franchises du passé qui cherchent la cure de jouvence, le trio culte ne se limite pas à une apparition clin d’œil, mais possède son propre arc narratif. La mauvaise ? Face à un Tom Cruise qui, à 60 ans, s’envoie en l’air sans effets spéciaux pour d’impressionnantes galipettes aériennes (Top Gun : Maverick), on est en droit de se demander si la réintégration tardive de trois vieux gardiens de zoo dans un monde chaotique est vraiment pertinente.
Toute la teneur de ce troisième film se résume en un plan, celui où la nouvelle garde rencontre l’ancienne. Grant, Sattler et Malcolm aux côtés du couple de héros formé par Owen Grady (Chris Pratt) et Claire Dearing (Bryce Dallas Howard). Colin Trevorrow, architecte de la nouvelle trilogie, filme le groupe avec une grandiloquence – composition épique à l’appui – qui renvoie plus volontiers aux Avengers et autres ligues de superhéros qu’à une série de films qui puisait sa force dans l’équilibre entre le divertissement pour tous publics et le cinéma d’horreur.
De fait, depuis le catastrophique Jurassic World : Fallen Kingdom (Juan Antonio Bayona, 2018), les dinosaures, unique raison qu’a l’univers Jurassic Park d’exister, et leur berceau d’Isla Nublar, au large du Costa Rica, ne suffisent plus; vient alors le temps des catastrophes climatiques, des animaux préhistoriques vendus au marché noir, des enfants clonés et des multinationales qui cachent de dangereux secrets.
On se demande si la réintégration tardive de trois vieux gardiens de zoo dans un monde chaotique est vraiment pertinente
Tout cela, et plus encore, s’entrelace pour remplir les 2 h 30 de Jurassic World : Dominion, qui ressemble définitivement à un concours d’idées abracadabrantes tenu pour concurrencer Marvel. Et jusqu’à leur rencontre avec leurs illustres aînés, Owen – le dresseur de vélociraptors et «mâle alpha» autoproclamé – et Claire – dont le seul fait d’armes retentissant est d’avoir traversé toute la trilogie sans jamais avoir déchaussé ses talons aiguilles – embarquent pour une aventure qui lorgne plutôt du côté de James Bond ou de Mission : Impossible, jusqu’à Malte et en Italie, sans que le spectateur ne soit jamais témoin de la cohabitation entre dinosaures et humains, pourtant amorcée à la fin du film précédent – des ptérodactyles survolant Las Vegas! – et martelée pendant toute la séquence d’ouverture de ce troisième opus.
Dirigée par un tâcheron qui rêve désespérément d’être Steven Spielberg, Jurassic World : Dominion est la conclusion supposée épique à une trilogie ratée, qui a sacrifié ses meilleurs personnages – les deux enfants de Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015), convocateurs éphémères de l’esprit de Spielberg – au profit d’un déluge de sous-intrigues sans grand intérêt.
De même que le retour de l’ancien casting tombe comme un cheveu sur la soupe, les dinosaures sont devenus des éléments manipulables comme les autres; même le terrifiant T-Rex, qui avait offert à la saga sa place parmi les illustres «Universal Monsters», n’a plus que l’allure d’une vulgaire figurine Funko Pop. Ian Malcolm – toujours lui – avait pourtant prévenu, dans une brève apparition au début de Fallen Kingdom, qu’il fallait laisser Isla Nublar disparaître, et les dinosaures avec. Les meilleurs conseils ne sont jamais entendus.
Jurassic World : Dominion,
de Colin Trevorrow.