Alors que le cinéaste iranien vient d’être libéré après sept mois de prison et une grève de la faim, son dernier film, No Bears, s’impose comme une mise en abyme de sa situation d’artiste opposé au régime de Téhéran.
La nouvelle a suscité un soulagement dans le milieu du cinéma, très mobilisé depuis son arrestation : le réalisateur iranien Jafar Panahi a été libéré sous caution vendredi dernier après avoir entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention de près de sept mois en Iran. Âgé de 62 ans, le cinéaste aux films multiprimés en Europe (Le Cercle, Trois Visages, Taxi Téhéran) avait été arrêté le 11 juillet 2022 avant le début, en septembre, du mouvement de contestation en Iran. Il devait purger une peine de six ans de prison prononcée en 2010 pour «propagande contre le système».
Je resterai dans cet état jusqu’à ce que, peut-être, mon corps sans vie soit libéré de prison
Il a ainsi été libéré «deux jours après avoir entamé une grève de la faim», a indiqué sur Twitter l’ONG Centre pour les droits humains en Iran, basée à New York. «Je resterai dans cet état jusqu’à ce que, peut-être, mon corps sans vie soit libéré de prison», avait-il dit. Les raisons de son incarcération? Il avait assisté à une audience au parquet de Téhéran pour s’enquérir du sort de son ami et cinéaste Mohammad Rasoulof, emprisonné (et libéré depuis) pour militantisme «antirévolutionnaire». Mais de nombreux autres intellectuels et opposants, eux, sont toujours incarcérés.
Le dernier film de Jafar Panahi, No Bears, comme la plupart de ses œuvres récentes, le met directement en scène. Il avait été projeté en septembre 2022 à la Mostra de Venise alors qu’il était déjà emprisonné. Le long métrage avait alors remporté le prix spécial du jury. Mina Kavani, l’une des actrices de son film, avait lu un message sur la scène du palais du cinéma : «Nous tous, nous sommes là grâce au pouvoir du cinéma, et pour Jafar Panahi.» Quelques jours avant, Jafar Panahi lui-même avait adressé au festival une lettre cosignée avec son confrère Mohammad Rasoulof, dans laquelle ils accusaient Téhéran de considérer les cinéastes indépendants «comme des criminels».
«L’histoire du cinéma iranien témoigne de la présence constante et active de réalisateurs indépendants qui ont lutté contre la censure et pour garantir la survie de cet art. Parmi ceux-ci, certains se voient interdire de tourner des films, d’autres ont été contraints à l’exil ou réduits à l’isolement», ont-ils dénoncé dans leur missive. «Aucun artiste ou intellectuel ne devrait être en prison, que ce soit en Iran ou ailleurs dans le monde», avait lancé à son tour, toujours depuis le Lido, leur compatriote Vahid Jalilvand.
Dans No Bears, film qui brouille les frontières entre le documentaire et la fiction à plusieurs reprises, Jafar Panahi est omniprésent à l’écran, dans un jeu de miroirs à plusieurs intrigues reflétant la complexité de sa situation : celle d’un créateur enfermé dans son propre pays. On le voit ainsi poursuivre son travail malgré les embûches et la tentation de fuir un pays où il est harcelé. Le film le montre aussi dirigeant depuis un village d’Iran des acteurs, réfugiés en Turquie de l’autre côté de la frontière, via une application de visioconférence.
À l’enjeu du film en train de se tourner, dans un pays où le voile n’est pas obligatoire contrairement à l’Iran, va s’ajouter celui des relations du cinéaste avec les villageois chez qui il a trouvé refuge. Ainsi que des allers-retours troublants jusqu’à la frontière, avec cette question obsédante en pointillé : partir, est-ce trahir? Dépassant son cas personnel, le réalisateur se fait également l’observateur, dans ce coin perdu, d’une société corsetée par des traditions d’un autre âge. Mais aussi d’une société repliée sur elle-même. Entre tradition et politique, No Bears est surtout un cri du cœur qu’adresse Jafar Panahi. Un appel d’une actualité plus que brûlante.
No Bears, de Jafar Panahi.