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[Cinéma] «Incroyable mais vrai», du rire au drame


Parti d’un concept fou, Incroyable mais vrai remet de la profondeur et de la gravité dans l’univers de Dupieux. (photo Atelier de production/ARTE France cinéma/Versus production)

Dixième film de l’incomparable Quentin Dupieux, Incroyable mais vrai fait basculer son univers absurde dans le conte philosophique. Assez drôle, souvent grave.

Onze films en vingt ans et la moitié de sa filmographie condensée sur les quatre dernières années : Quentin Dupieux s’est transformé en stakhanoviste du cinéma. À tel point que sa chronologie devient aussi absurde que ses histoires. Son dixième long métrage, Incroyable mais vrai, arrive en salle aujourd’hui… trois semaines après que le suivant, Fumer fait tousser (qui n’a pas encore de date de sortie officielle), a été montré en Séance de minuit au dernier Festival de Cannes. Et comme le Français ne fait pas les choses à moitié, il avait présenté Incroyable mais vrai mi-février à la Berlinale, en même temps que son alter ego musical, Mr. Oizo, sortait son dernier album, Voilà, avec le rappeur italien Phra, confirmé par le retour du beau temps comme l’une des pépites de l’année.

De son propre aveu, Mandibules (2020) avait étanché l’envie du réalisateur de faire «un film vraiment con». Le suivant est tout l’inverse, répondant à une certaine logique qui traverse toute son œuvre cinématographique, où l’instinct et la réflexion sont deux moteurs contraires, mais pas contradictoires. Comme l’énigmatique Réalité (2014) suivait le foutraque Wrong Cops (2013), Incroyable mais vrai remet de la profondeur et de la gravité dans l’univers de Dupieux. On commence par ce couple, Alain (Alain Chabat) et Marie (Léa Drucker), incapable d’expliquer ce qui lui arrive; la maison dans laquelle ils viennent d’emménager renferme un secret assez surprenant, que l’on ne révèlera pas ici. Les dialogues eux-mêmes se gardent de le faire, quand l’agent immobilier tourne en boucle, promettant aux futurs propriétaires qu’ils trouveront dans la cave quelque chose qui va leur «changer la vie».

Derrière ce personnage, on devine que Quentin Dupieux s’amuse à titiller la curiosité du spectateur. Le concept, élément essentiel de ses films – du pneu tueur de Rubber (2010) à la mouche géante de Mandibules – est cette fois entouré de mystère. «Il a une imagination, des idées qui n’appartiennent qu’à lui», disait récemment de lui Alain Chabat. «Des mecs géniaux, il y en a, mais des mecs géniaux aussi marrants, il y en a peu.» L’ancien des Nuls, pourtant rare devant la caméra, vient même de rempiler chez Dupieux, prêtant sa voix à un rat en marionnette absolument repoussant et qui fait pourtant craquer toutes les femmes, dans l’hilarant Fumer fait tousser.

Je ne sais pas si (c’est) plus triste, mais c’est probablement plus profond que d’habitude

Plutôt que susciter l’éclat de rire à chaque détour, Incroyable mais vrai garde le spectateur dans un entre-deux qui appuie son inconfort entre rire et sérieux. «Je ne sais pas si (c’est) plus triste, mais c’est probablement plus profond que d’habitude», admet le cinéaste, interviewé par le site Cineuropa. Le film va ponctuellement chercher du côté de l’âge d’or de la comédie française, du conte philosophique à la Buñuel ou de la frontière entre le réel et la fiction chère à Bertrand Blier – dont l’influence imprégnait déjà tout le dernier acte d’Au poste! (2018) –, voire à Oscar Wilde et son Portrait de Dorian Gray. À bientôt 50 ans, Quentin Dupieux ressentait peut-être le besoin de parler du temps qui passe ou du contrôle que l’on cherche à avoir sur nos vies, thèmes traduits à l’image par une photo légèrement floue.

Devant la mystérieuse trappe du sous-sol de la maison, les réactions d’Alain et de Marie sont diamétralement opposées. À partir de là, Dupieux commence à observer les différentes manifestations d’une société de l’apparence, allant de celui qui se refuse à «court-circuiter le processus naturel de la vie» jusqu’aux formes les plus exacerbées du narcissisme. Dans ce dernier registre, la performance de Benoît Magimel, l’ami du couple qui vient de remplacer son pénis par un engin électrique (télécommandé depuis son smartphone, non sans quelques petits soucis), est hilarante, en même temps qu’elle déroule un sous-texte ingénieux. Malgré sa courte durée (1 h 14), le film devient cependant plus grave et triste à l’approche du dénouement : Quentin Dupieux a beau nous surprendre à chaque film, celui-ci, on ne l’avait vraiment pas vu venir.

 

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