Le nouveau film de Fabrizio Maltese, I fiori persi, n’était pas prévu. Filmé au smartphone et en confinement après la mort de sa mère, c’est une ode bouleversante à l’amour filial.
De la pandémie de Covid-19 en Italie, où le virus a fait le plus de ravages à ses débuts en Europe, il est impossible d’oublier ces images atroces de corps entassés dans des convois de camions militaires. Des images qui ont mis la péninsule sous le choc, à un moment où l’on ne savait encore pratiquement rien de cette épidémie meurtrière, sinon qu’il fallait faire tout son possible pour protéger ses proches et éviter la contamination, en particulier aux personnes les plus fragiles.
C’est à cette période critique que Maurizio Maltese est hospitalisé d’urgence, victime d’une attaque cardiaque. Son fils, Fabrizio, apprend la nouvelle par sa mère et quitte immédiatement le Luxembourg pour rejoindre ses parents à Viterbe, ville située à une soixantaine de kilomètres au nord de Rome, où il est né. Après le succès de l’opération, le père quitte l’hôpital, mais le covid s’invite en même temps dans la demeure familiale, emportant la mère au passage. La période de deuil qui suivra est le matériel utilisé par Fabrizio Maltese dans I fiori persi («Les fleurs perdues»).
«Le sujet du film n’est pas la mort de ma mère», précise Fabrizio Maltese. C’est en effet son point de départ; l’une des premières images capturées par le réalisateur montre d’ailleurs le cercueil dans lequel elle repose. I fiori persi est «un film sur l’amour filial, celui que je porte à un père qui a survécu à sa femme, qui doit reconstruire sa vie et trouver la motivation pour continuer», ajoute-t-il.
Ce qui allait sortir en salle deux ans plus tard n’était pourtant pas destiné à être un film : les images tournées au smartphone ne devaient être guère plus que «des souvenirs de mon père, car je me suis rendu compte que je n’avais rien de ma mère dans mon téléphone, ni d’images filmées ni sa voix», explique le photographe et documentariste, qui continuera à montrer le film dans plusieurs festivals cette année.
Pendant un peu plus de 70 minutes, on est confiné dans cet appartement où vivent encore deux personnes, mais qui semble terriblement vacant. «Cet endroit où mes parents ont vécu toute leur vie, où j’ai moi-même grandi, nous mettait soudain, mon père et moi, face au vide. Cette absence était omniprésente. On la ressentait par exemple devant ce fauteuil sur lequel ma mère s’asseyait tous les jours, et qui ne sera plus jamais utilisé.»
Il y a chez Fabrizio Maltese une façon de capturer le vide qui relève autant de l’instinct que de la contrainte. Ainsi, le film, à mi-chemin entre le journal intime et le poème filmé, se déroule comme une succession de gestes quotidiens, déjà rendus différents dans le contexte du confinement lié à la pandémie et que l’absence de la mère finit de redéfinir à jamais.
Pour celui qui a filmé le désert de l’âme, après avoir tourné à plusieurs reprises dans de véritables déserts géographiques, «cette histoire était tellement personnelle que je pensais qu’elle n’allait intéresser personne». Les quatre heures de souvenirs enregistrés dans son téléphone sont devenues un nouveau film grâce à l’implication du producteur Stéphan Roelants et du monteur Qutaiba Barhamji.
«Avant tout cela, Stéphan et moi travaillions sur un autre film, L’Invitation, d’après une idée d’Abderrahmane Sissako et Pol Cruchten, que j’avais tourné en Mauritanie avant la pandémie. De retour à Luxembourg en juin 2020, j’ai pu commencer à monter L’Invitation. Puisque c’est aussi un film qui parle de quelqu’un qui n’est plus là – Pol Cruchten – mais aussi plus généralement de l’absence, j’ai proposé à Stéphan et Qutaiba de voir le matériel que je venais de filmer en Italie. Le lendemain, tous les deux ont essayé de me convaincre d’en faire quelque chose.»
La caméra, un « filtre »
I fiori persi a beau être une œuvre profondément personnelle, son réalisateur a pu compter sur «de vrais partenaires artistiques». «Il ne faut pas oublier nos conditions de travail pendant la période de montage», le confinement ayant redéfini l’implication de chacun dans ces deux projets parallèles mais intimement liés. Ainsi, Qutaiba Barhamji et Fabrizio Maltese ont «vécu vingt semaines ensemble» chez le réalisateur, avec un moment sacré, la cuisine, qui a véritablement soudé des liens entre ces deux immigrés, de la même manière que, lors des séances de travail, un projet a influencé l’autre.
De son père, qui est de tous les plans, Fabrizio Maltese avoue «n’avoir même pas demandé (s’il) pouvai(t) le filmer». «J’ai fait ça pendant trois semaines, et je suis sûr que les deux premières semaines, il ne s’en est même pas aperçu.» Pour le réalisateur, la caméra a été «un filtre», «une manière de (se) défendre» contre la brutalité de la situation. «Dans cette maison, chaque objet renvoyait à la présence de ma mère. Pour mon père, c’était comme être sous les bombes : partout où il tournait la tête, il la voyait.»
Par la grâce d’une séquence cathartique, où père et fils déballent les affaires de la mère gardées dans un sac noir que longtemps les deux n’ont pas eu le cœur d’ouvrir, Maurizio prend conscience qu’il entre «dans l’après», dit le fils. «Il y a une seule séquence où je passe devant la caméra, c’est ce moment où il éclate en sanglots.» Une scène déchirante tournée en plan fixe, sans pudeur. «Je me suis dit que je devais être près de lui. C’est une grande question dans le monde du documentaire : si on filme quelqu’un qui a besoin d’aide, que fait-on ? Moi, je coupe la caméra et je l’aide.»