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[Cinéma] «House of Gucci», opération mains sales


Pour son rôle, Lady Gaga a écrit une bible personnelle de 80 pages sur «sa» Patrizia Reggiani.

Ridley Scott déterre les secrets de l’une des plus célèbres maisons de haute couture italiennes : House of Gucci est une satire exubérante de la richesse portée par un casting immense, en haut duquel trône Lady Gaga en «veuve noire».

C’est un fait : les personnes âgées aiment les soap operas. À une semaine de ses 84 ans et avec une pleine poignée de chefs-d’œuvre au compteur (au moins un par décennie depuis les années 1970), Ridley Scott déclare donc un amour insoupçonné pour le feuilleton à rebondissements, dans sa forme la plus baroque et exagérée.

Un amour qu’il déclame avec style, forcément, puisque c’est ainsi que se positionne le cinéaste britannique – Scott, c’est «90 % d’atmosphère et 10 % d’histoire», tel qu’il était décrit en d’autres temps par le magazine Variety –, mais aussi parce qu’il vaut mieux en avoir quand le titre du film porte le nom de Gucci. «Un nom synonyme de richesse, style, pouvoir», entend-on dès les premières minutes du film. «Mais ce nom était aussi une malédiction.»

La marque de luxe, qui fête son centième anniversaire cette année, a fait couler autant d’encre dans les magazines de mode que dans la rubrique des faits divers des journaux italiens quand, en 1995, le directeur de la marque, Maurizio Gucci, est abattu en pleine rue dans un meurtre commandité par son ex-femme, Patrizia. Une histoire qui «n’est pas si différente de deux autres célèbres, ou tristement célèbres, familles d’artistes dans l’Italie des XIVe et XVe siècles, les Médicis et les Borgia», estimait récemment Ridley Scott sur le site spécialisé Deadline.

Tout commence à l’apogée des années disco, à Milan, quand Patrizia Reggiani (Lady Gaga), jeune fille issue d’un milieu modeste, rencontre Maurizio Gucci (Adam Driver), l’héritier désigné de la maison de haute couture. Leur amour est vu d’un mauvais œil par le clan Gucci, dont Patrizia ne va pas tarder à porter le nom, mais les querelles familiales sont le pain quotidien des Gucci.

Seulement, elles semblent cette fois justifiées : dans l’ombre, Patrizia montre une ambition toute particulière pour que Maurizio accède au trône et fasse main basse sur la marque, au détriment de son oncle, Aldo (Al Pacino), déclenchant ainsi une spirale infernale faite de petits secrets, de trahisons et de vengeances qui va déchirer la famille.

Tragédie antique et comédie à l’italienne

Avec House of Gucci, Ridley Scott tient sa grande tragédie antique, le drame shakespearien déjà préfiguré dans Gladiator (2000) et American Gangster (2007); c’est d’ailleurs à l’époque de ce dernier film, qui explorait déjà les frontières entre le crime et le glamour, que sa femme, Giannina Facio, a attiré son attention sur l’histoire de la famille Gucci.

Mais entre ses mains, et celles de ses scénaristes, Becky Johnston et Roberto Bentivegna, la tragédie a bien plus à offrir que du mélodrame. «Je ne voulais pas en faire un thriller, car ce n’est pas ce qu’est l’histoire», a affirmé le réalisateur. «Je voyais plus cela comme une satire (…) C’est un regard satirique sur une famille du XXe siècle qui a sombré dans l’autodestruction… On ne peut pas expliquer pourquoi avec un simple mot. On ne peut pas dire que c’est par cupidité; je pense que, du point de vue des Gucci, il s’agissait de protéger leur nom.» Ce qui n’a pas réussi à la famille d’origine toscane : aujourd’hui, plus personne ne porte le nom de Gucci au sein de la marque.

Comme toute bonne satire, House of Gucci cherche à être pertinent dans ses (nombreux) moments de comédie. Ridley Scott retourne à un genre qu’il n’a plus effleuré depuis le sous-estimé Matchstick Men (2003) et fait de sa tragédie familiale un film souvent drôle, qui donne le ton dès la séquence d’ouverture, où Maurizio Gucci, quelques minutes avant de rencontrer la mort, traverse un quartier de Milan à vélo, sourire en coin et l’air un peu ridicule.

La scène, reprise à la fin, ne sera plus regardée du même œil. Chez Ridley Scott, il y a une conception très italienne de la comédie : «La clé, pour moi, est que, quelle que soit la gravité de ce qui se passe, l’on continue à apprécier ces gens, au fond.» La clinquante caractérisation des personnages est aussi ce qui rappelle les grandes heures de la comédie à l’italienne, avec, en point d’orgue, le binôme comique formé par Al Pacino et Jared Leto, Gucci père et fils. Ensemble, ils sont profondément touchants; individuellement, ils sont des monstres d’exubérance.

Quand Adam Driver complète le trio, Ridley Scott y insuffle une énergie qui rappelle The Godfather (Francis Ford Coppola, 1972) et son patriarche tiraillé entre un fils surdoué mais désintéressé et le rejeton embarrassant.

Chat, renard, panthère

Cependant, c’est la femme qui fait tout dans cette histoire d’hommes. Lady Gaga, dans le rôle de Patrizia Reggiani, est simplement extraordinaire dans son deuxième grand rôle au cinéma. Amoureuse éperdue, désemparée, manipulatrice et démoniaque, elle passe d’une Patrizia à l’autre au fil de son ascension sociale.

Dans la caméra de Ridley Scott, elle est d’abord sublime, puis enlaidie, jusqu’à devenir littéralement, sous la lumière d’un flash, une apparition tout droit tirée d’un film d’horreur. L’actrice et chanteuse explique avoir «travaillé avec trois animaux différents» pour caractériser l’évolution du personnage : un chat, un renard et une panthère.

Refusant de lire le livre d’enquête dont est tiré le film, elle a écrit elle-même une bible personnelle de 80 pages décrivant «sa» Patrizia Gucci, loin de l’image de croqueuse de diamants qu’on lui prête habituellement. Patrizia tire certaines ficelles, mais c’est sa simple présence dans la famille qui exacerbe les tensions déjà existantes à l’intérieur de la famille Gucci; Ridley Scott le montre magnifiquement, quand la poussière qui traverse l’image dans les grands intérieurs des demeures des Gucci se transformera, plus tard, en d’épais flocons de neige.

Quand Patrizia rôde, le diable se cache dans les détails et, pour Maurizio, le danger approche. Lady Gaga : «Je me suis sentie comme Patrizia : une vie sans Gucci ne valait pas la peine d’être vécue. Être une Gucci, c’était le meilleur moment de sa vie, et maintenant que ce film est derrière moi, je peux dire qu’être une Gucci était le meilleur moment de ma vie.»

Valentin Maniglia