Pour son premier long métrage, le réalisateur et artiste luxembourgeois Christian Neuman va chercher du côté de l’horreur gothique. Tout un programme à l’approche d’Halloween…
Skin-walker : littéralement «marcheur de peau». Dans la culture des Indiens d’Amérique, en particulier des Navajos, ce terme désigne un chaman capable de se transformer en animal (un loup, le plus souvent). C’est aussi le titre du premier long métrage du Luxembourgeois Christian Neuman, tourné majoritairement au Grand-Duché, qui tente d’explorer les méandres de la psyché dysfonctionnelle de son héroïne. De quoi donner la chair de poule.
L’actrice britannique Amber Anderson y incarne Régine, une jeune femme qui se rend dans la maison de son enfance après l’avoir quittée des années plus tôt pour la grande ville. La raison : l’enterrement de sa grand-mère. À son arrivée, elle est confrontée à un passé qu’elle a préféré oublier : un père (Udo Kier) à qui elle ne parle plus, la relation d’amour-haine que celui-ci entretenait avec la mère de Régine et le traumatisme d’un enfant difforme, son frère, mort quelques jours après sa naissance. Mais quand un inconnu, Robert (Jefferson Hall), qui se dit ami de la famille, apprend à Amber que ce frère pourrait bien être vivant et qu’il serait responsable de la mort de sa grand-mère, elle va peu à peu perdre pied tout en tentant de le retrouver…
Le cinéma d’horreur est chose rare au Luxembourg, alors que le pays a pourtant boosté sa production cinématographique qui se retrouve aujourd’hui partout, et qui ne manque pas non plus de décors propices au genre. Faut-il encore citer les remarquables et cultes Calvaire (Fabrice Du Welz, 2003) et Shadow of the Vampire (E. Elias Merhige, 2000), coproduits et tournés sur les terres grand-ducales ? Force est de constater néanmoins que ces deux exemples – les meilleurs – remontent déjà à deux décennies ou presque. Avec Christian Neuman, qui sait envelopper le public dans un univers expérimental et accablant, comme il l’a prouvé par le passé avec son court métrage The End of Everything As You Knew It. A Guide (2015) ou ses toiles abstraites et émotionnellement chargées, Skin Walker a tout pour être un ovni, comme son titre – qui n’a inexplicablement aucun lien avec la légende indienne évoquée dans les premières lignes de cet article – le laisse penser.
Le langage du grand cinéma d’horreur italien
Neuman ne prive pas le spectateur de quelques plaisirs jubilatoires, tout en haut desquels trône la prestation d’Udo Kier en patriarche désolé et terrifiant derrière ses éternels yeux couleur du ciel, perçants comme deux poignards. Tout aussi superbe est la photographie, signée Amandine Klee, qui sublime la complexité des décors (en particulier la forêt omniprésente et écrasante) et qui va chercher au détour de quelques séquences l’influence de modèles indiscutables. On parle dans Skin Walker – produit par Calach Films et distribué par Tarantula – le langage du grand cinéma d’horreur italien, avec un traitement des couleurs (le rouge, surtout) qui renvoie à Dario Argento et l’empreinte de Lucio Fulci dans les séquences de flash-back.
Mais la grande promesse du film n’est que partiellement tenue, la faute à une dramaturgie tellement hasardeuse qu’elle est prévisible, et dont le long métrage se fait par trop vite esclave. Pour un artiste qui sait manier l’expérience sensorielle de l’œuvre (et c’est ce que Christian Neuman est), on regrette de voir que la volonté de s’affranchir des règles ne le soustrait pas aux codes du genre. En voulant aborder beaucoup de thèmes, dont certains qu’il maîtrise très bien – les troubles mentaux, par exemple, grand thème du film également cher à son actrice principale, qui milite en faveur de leur reconnaissance – Neuman semble lui-même perdre le fil. On en revient alors à la majesté de l’horreur gothique et ses jolies trouvailles (dont un Luc Schiltz méconnaissable derrière un maquillage très réussi) et c’est, au final, ce qui compte le plus, puisqu’à l’approche d’Halloween, c’est d’une bonne dose de frissons que l’on a besoin.
Valentin Maniglia