Accueil | Culture | [Cinéma] Flow : l’Arche sans Noé

[Cinéma] Flow : l’Arche sans Noé


Une fable sans humain, ni dialogue, mais avec une grande ménagerie confrontée à la montée des eaux ? Flow brise les codes du film d’animation et hypnotise par sa beauté poétique.

C’est un petit film d’animation qui, depuis quelques mois, s’impose comme un nouveau modèle du genre. Mais contrairement à la plupart de ses homologues, saturés de couleurs et tapageurs, il avance dans une discrétion toute féline, comme calé sur les pas de son héros principal, un chat noir aux grands yeux jaune orange. Depuis sa sortie (au festival de Cannes), il a ainsi remporté les faveurs du public et du jury à Annecy, puis les honneurs du cinéma américain avec un Golden Globes à la clé et deux nominations pour les prochains Oscars. Ce n’est pas rien mais pour autant, il ne le crie pas sur tous les toits. Normal : Flow est muet, du début à la fin.

«Les grosses productions sont bavardes», explique son réalisateur, Gints Zilbalodis, avant de poursuivre : «L’animation n’est pas trop impactée par les barrières culturelles ou linguistiques: elle peut être bien plus primale!». Lui qui aime les longues promenades en pleine nature et le cinéma de Hayao Miyazaki a donc trouvé la toile de fond et le fil narratif de ses histoires, longtemps faites en solo : des univers à la croisée du réel et de l’imaginaire, un paysage sauvage à couper le souffle et au milieu, un ou plusieurs personnages en pleine quête identitaire. C’était déjà l’objet de son premier film, Away (2020). C’est aussi le cas pour Flow, sauf qu’ici, le cinéaste letton pousse l’idée plus loin en supprimant toute trace humaine. Avec lui, ce sont les animaux qui font la loi.

Sans anthropomorphisme

On découvre donc un chat qui, comme les autres, miaule et se méfie du moindre bruit. Ayant trouvé refuge dans une maison à l’abandon au fin fond d’une forêt, cernée par d’imposants totems, l’animal, gracieux, voit son univers disparaître progressivement, englouti par une subite montée des eaux. La vague emporte tout sur son passage, l’obligeant à dépasser sa méfiance et embarquer sur un bateau de fortune sur lequel flotte une étrange ménagerie : un chien amical, un lémurien collectionneur compulsif, un oiseau majestueux et un capybara lourdaud. Dans une traversée inquiète, au cœur d’une nature dangereuse et des ruines d’une civilisation disparue, l’équipage devra apprendre à surmonter leurs différences et à s’adapter au nouveau monde qui s’offre à eux…

L’intérêt n’est pas de résoudre une énigme, mais de se laisser porter par une  expérience visuelle

«L’intérêt n’est pas de résoudre une énigme, mais de se laisser porter par une expérience visuelle… C’est le récit initiatique des protagonistes qui m’intéresse le plus», précise Gints Zilbalodis à propos de son film. Pour ce faire, il s’attache à respecter plusieurs choses : d’abord, représenter les comportements des animaux «de manière crédible» (en dehors de rares libertés prises). «On a tenté de rendre leurs mouvements aussi plausibles que possible, pour éviter les clichés des bêtes qui agissent, pensent comme des humains». Ensuite, éviter de tomber dans le manichéisme. «Je ne veux pas inclure un méchant ou un antagoniste dans mes films. En revanche, je peux me servir d’une catastrophe pour créer des conflits et forcer les personnages à entamer leur cheminement».

Stray, les errances d’un chat

Enfin, pour la première fois à la tête d’une équipe de professionnels (venant de Lettonie, de Belgique et de France), le réalisateur a pu mettre du soin dans l’image, et c’est peu dire : l’expérience est tout bonnement époustouflante, hypnotique. «J’avais envie d’utiliser la caméra pour susciter la curiosité, le plaisir d’explorer de vastes paysages.» Il y a en effet, dans cette aventure menée au fil de l’eau, des décors fabuleux (de la forêt aux montagnes) et de belles rencontres (comme celle, émouvante, avec une baleine). Et comme le film est uniquement rythmé par la musique, le bruit des bêtes et l’agitation de la nature, il plonge le spectateur dans une douce contemplation. «Au cinéma, les scènes que je préfère ne reposent pas sur des dialogues : ce sont toujours les images et le ressenti qu’elles procurent dont je me souviens le plus».

Mieux : ce fan de jeux vidéos (comment ne pas alors songer à Stray et son chat déambulant dans une ville au style cyber-punk) et de fables féériques imagine ici un monde à la «réalité augmentée». «J’aime ne pas tout expliquer. La raison de l’inondation n’est pas précisée, ni la signification des statues que les personnages découvrent.» On leur emboîte donc le pas, conquis par la dérive de cet attendrissant bestiaire et la beauté quasi mystique de cette Arche sans Noé. Aveuglé par ce choc esthétique, le message sur l’entraide, l’amitié, l’écologie et le vivre ensemble devient presque secondaire.