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[Cinéma] Firebrand : celle qui survécut au roi


Jude Law (Henri VIII) et Alicia Vikander (Catherine Parr), unis pour le meilleur et pour le pire. (Photo : brouhaha entertainment)

Le réalisateur Karim Aïnouz rend hommage à Catherine Parr, qui fut la sixième épouse du roi Henri VIII. Une énième oubliée de l’Histoire que le 7e art cherche régulièrement à réhabiliter.

Avant même la première image, sur fond noir et avec une simple citation, le cinéaste Karim Aïnouz pose ses intentions : «L’Histoire vous dit peu de choses. Elle raconte surtout les hommes et la guerre». Et les femmes alors? C’est justement cette injustice qu’il essaye de corriger avec Firebrand, qui sort de l’ombre Catherine Parr, sixième femme du roi d’Angleterre Henri VIII. Pourtant, la dynastie Tudor a été, et reste, une source d’inspiration infinie pour le grand et le petit écran. Mais sur elle, «pas le moindre film», rien, explique le réalisateur. «Les histoires, c’était toujours à propos des épouses qui sont mortes ou à propos du roi», qui, précise-t-il, «était un monstre».

En effet, pour rappel, le monarque, paranoïaque et violent, a hérité du doux surnom de Barbe-Bleue. Il a ainsi répudié deux de ses femmes (Catherine d’Aragon, Anne de Clèves), en a décapité deux autres (Anne Boleyn, Catherine Howard) et a perdu une dernière en couches (Jeanne Seymour). Catherine Parr accompagnera quant à elle le tyran durant les quatre dernières années de sa vie, ce qui lui vaudra d’être considérée par la majorité des textes comme «l’épouse nourrice», sa contribution étant réduite à l’idée qu’elle n’aurait fait que s’occuper de son mari malade, devenu obèse et boiteux en raison d’une infection à la jambe. Ce que Karim Aïnouz réfute : «Elle a non seulement réussi à survivre, mais aussi à s’épanouir et à triompher des obstacles. C’est une femme extrêmement brillante, cultivée et émancipée».

Elle a ignoré ce que son rôle l’assignait à être : soit soumise, soit assassinée

En 1546, dans une Angleterre médiévale et pré-impériale, à la fois superstitieuse et sanguinaire, on suit alors cette reine qui «a ignoré ce que son rôle l’assignait à être : soit soumise, soit assassinée», poursuit le cinéaste. Au cœur des horreurs quotidiennes de la cour, des jeux de pouvoir, des conspirations et de ce que vouloir être aux côtés d’un fou dangereux signifie (qui se considère comme le «lieutenant de Dieu»), on découvre une artiste (elle écrit), une mère aimante, une épouse attentive et, quand elle prend le relais de son mari, une pionnière politique. Jude Law, méconnaissable dans la peau de ce roi qui pourrit à vue d’œil et dont la douleur le rend plus incontrôlable que jamais, est sous le charme de Catherine Parr et «sa façon de survivre dans un tel champ miné de menaces».

«Je ne peux pas imaginer ce que ça a été pour elle», affirme pour sa part Alicia Vikander, l’actrice qui l’incarne (connue pour avoir joué une androïde dans Ex Machina). Elle va en effet frôler tous les dangers, principalement pour une raison : son progressisme et son soutien à la «nouvelle foi», le protestantisme, à une époque où il gagnait du terrain en Angleterre. Elle prône ainsi que la Bible soit en anglais et accessible à tous. On la sait aussi proche de la prédicatrice Anne Askew. «Mais en faisant tout cela, elle jouait avec le feu! Elle pouvait être tuée à tout moment», lâche Karim Aïnouz, surtout quand l’évêque Stephen Gardiner, inquiet de cette montée en force d’une religion qui met en péril sa fonction même, glisse à l’oreille du roi que son épouse est dans le mauvais camp…

Comme dans «un jeu d’échec émotionnel», dixit Jude Law, et à travers des tableaux colorés (peut-être en hommage au peintre Hans Holbein), le film, estampillé d’«époque» et de facture plutôt classique, s’amuse parfois à prendre des airs de thriller quand le roi rôde et que la reine fuit, esquive. Mais, selon le réalisateur, il est d’abord à voir comme un «hymne contre le patriarcat», avec cette figure qui a «osé imaginer un nouvel avenir pour son pays, à une époque où être une femme était une position accessoire, dépendante de la domination masculine». Qu’il se rassure : il n’est pas le seul à essayer de rattraper les omissions du passé, à l’instar d’autres productions, de Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006) à Jeanne du Barry de Maïwenn (2023), en passant par The Duchess (2008), The Favourite (2018) ou Mary Queen of Scots (2018). Quitte à en tirer parfois «des conclusions hasardeuses», comme le stipulait encore la citation du début. Oui, mieux vaut quelques entorses à l’Histoire que rien du tout.

Firebrand, de Karim Aïnouz.

 

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