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[Cinéma] Finance, ton univers impitoyable


Arthur Dupont interprète Jérôme Kerviel, l'ancien trader à l'origine de l'affaire Société générale. (Photo DR)

S’appuyant sur l’histoire du trader Jérôme Kerviel pour « L’Outsider », Christophe Barratier signe un quatrième film qui n’appuie à aucun moment le trait.

Quand la haute finance fait son cinéma ! Ainsi, cette semaine avec Tout de suite maintenant, Pascal Bonitzer propose une critique maligne et divertissante sur la haute finance. De son côté Christophe Barratier, avec L’Outsider, s’inspire grandement de l’histoire du trader français Jérôme Kerviel accusé d’avoir failli faire plonger en 2008 la Société générale, en raison de coups hasardeux, et de lui avoir fait perdre 5 milliards d’euros alors que l’année précédente, il avait fait gagner à la banque 1,5 milliard d’euros.

En 2010, Jérôme Kerviel est condamné à cinq ans (dont trois, ferme) de prison et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts. Le 19 mai dernier, il conteste son licenciement au tribunal des prud’hommes et réclame cinq milliards d’euros; le 7 juin, la Société générale est condamnée à payer 455 000 euros. Bref, l’affaire Kerviel vaut bien des scénarios.

Réalisateur à succès (Les Choristes, 2004, Faubourg 36, 2008, et La Nouvelle Guerre des boutons, 2011), Christophe Barratier avoue n’avoir jusqu’alors jamais été véritablement intéressé par ce monde de la haute finance. Jusqu’à ce qu’un jour, un ami, invité à dîner, vienne chez lui, accompagné de Jérôme Kerviel. Souvenir de Barratier : «J’ai cherché à savoir comment l’énigme s’est mise en place… Puis il m’a fallu suivre une formation accélérée pour tout comprendre et pour m’adresser à celui que j’étais, deux ans auparavant et qui ignorait tout de ce monde de la finance…»

Un maelström inexorable

Lançant le projet avec Jacques Perrin – son oncle acteur, réalisateur et producteur, il décide de s’appuyer pour le scénario sur L’Engrenage, mémoires d’un trader, le livre de Jérôme Kerviel, et démarrer son film quand le scandale éclate en 2008. «Pour moi, Jérôme Kerviel n’est ni un escroc ni une victime, poursuit le réalisateur. C’est cette zone d’ombre dans cette histoire que j’aimais bien, et que le personnage traverse. C’est ce que j’ai senti à la lecture du scénario : que les responsabilités étaient partagées…»

Dans L’Outsider, le réalisateur s’interroge, cherche à savoir comment un jeune Breton venu du Finistère dans l’univers impitoyable de la haute finance a pu être emporté par un tourbillon, par un maelström inexorable. Comment expliquer cette fuite en avant, ce jeu permanent – jouer et gagner cinq milliards, en perdre un au coup suivant, en regagner… et, de temps à autre, en reperdre encore plus… Dans ce monde opaque, les squales sont à l’affût.

Et c’est là tout le mérite du quatrième film de Christophe Barratier, qui, à 53 ans, s’aventure à mille lieues de ses préoccupations ordinaires et quotidiennes. Sans ne jamais appuyer le trait, il avance dans cet univers avec Jiminy Cricket (interprété par l’impeccable François-Xavier Demaison, humoriste aujourd’hui en France, fiscaliste international à New York hier), cet homme qui enseigne tous les coups (les autorisés et aussi les tordus) au jeune Kerviel, joué avec justesse par Arthur Dupont, 30 ans et vu, entre autres, dans Bus Palladium (2009) de Christopher Thompson.

«Pour le casting, j’ai fait des essais, raconte le réalisateur. Beaucoup de comédiens avaient tendance à rendre le personnage sombre dès le début, ce qui semblait déjà indiquer « Attention, avec lui il va y avoir un problème ». Arthur, au contraire, avec son allure très juvénile, dégageait une innocence totale. Le glissement progressif du personnage serait donc plus éloquent. Quand j’ai vu jouer les scènes où le personnage perd le sens des réalités, il m’a bluffé. Sur le tournage, je ne lui disais quasiment plus rien sur le jeu. Avec lui, pas besoin d’effets spéciaux de maquillage ni d’explications de texte superflues…»

De notre correspondant à Paris, Serge Bressan