Acteur éclatant, Viggo Mortensen passe pour la première fois derrière la caméra avec Falling, très beau drame en partie autobiographique sur une relation père-fils complexe. À 80 ans, Lance Henriksen y tient le rôle de sa vie.
Depuis le succès planétaire de la trilogie Lord of the Rings (2001-2003) et le rôle légendaire d’Aragorn, vaillant guerrier couronné roi, Viggo Mortensen avance à un rythme de croisière : un film par an, ou moins. La dernière décennie l’a vu tenir apparaître dans huit films seulement, parfois dans un second rôle (On the Road, 2012), d’autres fois dans des compositions éclatantes avec un Oscar à portée de main (Captain Fantastic, 2016).
Avec Falling, il revient plus présent que jamais : réalisateur, scénariste, producteur, acteur et compositeur, tout à la fois. Un projet qu’il porte à bout de bras depuis vingt-quatre ans, en partie autobiographique, et qui raconte la relation complexe entre un père atteint de démence et son fils, alors que ce dernier le force à vendre la ferme familiale où le père vit seul pour l’installer avec sa famille à Los Angeles.
«J’ai eu beaucoup d’expériences familiales liées à la démence ou à Alzheimer, avec mes grands-parents, mes tantes, mes oncles, et cela m’a aidé à écrire le personnage de Willis et les relations qu’il entretient avec son fils, sa fille et les autres», déclarait Viggo Mortensen lors d’une interview.
C’est de la même maladie qu’était atteint le père de l’acteur devenu, à 62 ans, réalisateur pour la première fois. Avec, donc, un sujet difficile, abordé sous l’angle de l’intimité et explorant les limites de l’amour familial, des différences qui séparent les individus et des conséquences de la maladie sur ceux qui l’accompagnent.
Lance Henriksen dans le personnage
Pour le rôle du père, Willis, le réalisateur a fait un choix osé : Lance Henriksen, 80 ans, comme lui d’origine scandinave (son père était un immigré norvégien, alors que Mortensen possède la double nationalité américaine et danoise; l’acteur qui joue Willis jeune, Sverrir Gudnason, est, lui, suédois).
On connaît surtout l’acteur comme un vétéran du cinéma de genre depuis les années 1970, ayant tourné avec James Cameron (Terminator, 1984; Aliens, 1986), Kathryn Bigelow (Near Dark, 1987), Steven Spielberg (Close Encounters of the Third Kind, 1977), John Woo (Hard Target, 1993), Wes Craven (Scream 3, 2000), Sam Raimi (The Quick and the Dead, 1995)… Encore aujourd’hui, Henriksen enchaîne les apparitions et les caméos dans des productions horrifiques ou fantastiques à bas budget. Autant dire que Falling a des airs de curiosité au sein de la filmographie bien fournie de l’acteur.
Mais en réalité, le personnage de Willis, vieil homme sénile, vulgaire et conservateur, qui ne peut s’empêcher d’émettre des remarques pour le moins désobligeantes envers son fils, homosexuel, et son compagnon, et qui a déjà par le passé échoué dans son rôle de père et de mari, a touché une corde sensible chez Lance Henriksen.
«J’ai eu une enfance difficile, confiait l’acteur dans une interview au Guardian. J’ai souvent été battu (par) différentes personnes, des membres de ma famille. Je me souviens de chaque visage de mon enfance. Des oncles alcooliques, n’importe qui (…) C’était comme ça.» Alors pour le rôle, pas question de se «faire surprendre en train de jouer». «Je voulais le vivre, affirme l’acteur. Je savais que je devais revoir d’un œil lucide la façon dont mes parents se comportaient avec moi.»
Regarder en arrière
Ensemble, les deux acteurs ont chacun rouvert des plaies qu’ils pensaient avoir laissé cicatriser. C’est l’une des grandes forces du film, le face-à-face prenant automatiquement la forme d’une joute verbale unilatérale, le père déversant son flot de paroles très dures envers un fils compréhensif, calme et patient, jusqu’à ce que le trop-plein d’émotions ne l’emporte.
La balance entre les instants de «normalité» et ceux où la maladie prend le dessus est fine, et Lance Henriksen fait un travail formidable en faisant se succéder ces moments, comme deux personnages différents, avec la même intensité. «(Lance) m’a donné tellement plus que tout ce que j’aurais pu espérer», a déclaré Viggo Mortensen. Henriksen, lui, affirme ne pas savoir «dire à quel point Falling a changé (sa) vie».
Si le jeu des deux protagonistes est le sang du film, le travail du réalisateur et scénariste en est la chair. Les sujets du film, dans le drame comme dans un registre plus léger, vivent aussi à travers lui, des raccords qui lient la mémoire, les lieux et les temporalités (une porte qui s’ouvre aujourd’hui se referme dans le plan suivant, cinquante ans plus tôt; le son de l’eau versée dans un verre à Los Angeles rappelle le bruit du ruisseau près de la ferme familiale) jusqu’à la musique douce et intime, souvent menée par un piano.
Et Viggo Mortensen de regarder lui aussi en arrière, en remerciant dans le générique de fin Peter Jackson, réalisateur de The Lord of the Rings, et en offrant un caméo à son ami et réalisateur sur trois films David Cronenberg, l’ancien étudiant en médecine apparaissant dans la blouse blanche d’un proctologue. Un vrai film de famille, en somme.
Valentin Maniglia
Falling, de Viggo Mortensen.
(Photo : Metropolitan Filmexport)