Portés disparus des écrans, les films d’horreur signent leur grand retour à Bollywood sous la forme de comédies décalées et de récits fantastiques, avec des stars, des budgets ambitieux et des effets spéciaux sophistiqués.
«Il y a de nouvelles histoires, de nouveaux talents et tout cela a favorisé une renaissance», se félicite Deepak Ramsay, membre avec ses frères d’une dynastie de réalisateurs à l’origine d’une trentaine de films horrifiques produits en Inde. «Les têtes d’affiche sont enthousiastes à l’idée d’en faire partie», poursuit le cinéaste. Parmi elles, Ajay Devgn, Akshay Kumar, Shraddha Kapoor et Kiara Advani, qui n’ont pas hésité à incarner récemment des rôles principaux.
Les films d’horreur «attirent immédiatement l’attention dès qu’un acteur célèbre figure au générique», confirme un autre réalisateur, Aditya Sarpotdar. Son nouveau long métrage, Thamma, est présenté comme le premier film de vampires «made in India». Il sortira fin octobre, non pas pour Halloween, mais à l’occasion de Diwali, la très célébrée fête hindoue des lumières. Cette «histoire d’amour sanglante», portée par des acteurs de renom, Ayushmann Khurrana et Rashmika Mandanna, mêle les incontournables codes du cinéma indien – chants, danses et romance – à un univers hanté par des loups-garous.
Pour Deepak Ramsay, maquillage, prothèses et effets spéciaux générés par ordinateur ont «franchi un cap», tout comme les budgets. «Nous avions l’habitude de faire des films pour environ 25 000 à 30 000 dollars» (NDLR : 20 000 à 25 000 euros), mais «désormais nous sommes plus proches de 9 millions de dollars» (7,5 millions d’euros), dit-il.
Longtemps en marge
Bollywood a fait son entrée dans ce genre cinématographique en 1949 avec Mahal, signé Kamal Amroh, considéré comme le premier film d’horreur indien. Dans les années 1970 et 1980, les frères Ramsay ont entretenu la flamme avec des films à petit budget mettant en scène des créatures surnaturelles, dont le style s’inspirait de la série Hammer House of Horror, rare incursion sur petit écran de la référence britannique du genre horrifique.
Malgré ces quelques succès, le cinéma d’épouvante est longtemps resté en marge, faute d’effets spéciaux convaincants et de budgets significatifs. «Les faibles cachets étaient dissuasifs pour les vedettes», se souvient Deepak Ramsay, et «ces films étaient souvent interdits aux mineurs, ce qui réduisait de moitié leur public potentiel». Les frères cinéastes avaient trouvé une formule gagnante en mélangeant dans leurs productions scènes gore et femmes légèrement vêtues. Certains de leurs films ont même «rapporté plus» que ceux qui avaient à l’affiche la grande star de Bollywood Amitabh Bachchan, se vante Deepak Ramsay.
Horreur et comédie, une «frontière étroite»
Un virage s’est amorcé dans les années 2000, avec le succès en 2003 de Bhoot, porté par la star Ajay Devgn, et de Ghost. Quatre ans plus tard, Bhool Bhulaiyaa, avec Akshay Kumar dans le rôle principal, accède au rang de film culte. Mais la véritable résurrection date de 2018. Tour à tour, Tumbbad, premier film indien à ouvrir la Semaine de la critique à la Mostra de Venise, et Stree, fondé sur la mythologie hindoue, crèvent l’écran et décrochent une bonne place au box-office indien.
Aujourd’hui, nombre de cinéastes indiens spécialisés dans l’épouvante sont convaincus que le succès passe par le mélange des genres. «La frontière est très étroite entre l’horreur et la comédie», explique Ram Gopal Varma, le réalisateur de Bhoot. «Après avoir eu peur, la première réaction est souvent de rire», souligne-t-il. Une recette qui semble avoir réussi à son film le plus récent, Munjya, que les Indiens sont nombreux à être allés voir en famille l’an dernier.
Mais le genre tarde à obtenir la reconnaissance qu’il mérite, déplore Aditya Sarpotdar. «Nous l’avons toujours considéré comme populaire et peu subtil», regrette le cinéaste, qui rêve de voir le plus populaire des acteurs de Bollywood, Shah Rukh Khan, s’essayer au film d’horreur.
Bollywood anime
les salles luxembourgeoises
Au Luxembourg aussi, toutes les semaines (ou presque), les films de Bollywood débarquent dans les salles de cinéma. Afin de représenter au mieux l’«abondance» de la première industrie cinématographique mondiale, «le défi pour nous, les programmateurs, consiste à sélectionner uniquement les films qui fonctionneront sur nos territoires», explique au Quotidien une responsable de la programmation auprès de Kinepolis Belgique.
L’industrie bollywoodienne représente environ 2 000 films produits chaque année dans une vingtaine de langues différentes, soit plus du double de l’industrie américaine. Avec environ une à deux sorties chaque mercredi dans les salles luxembourgeoises (moins de 10 % des «30 à 40 films sortis chaque semaine» en Inde), Kinepolis se «limite» aux blockbusters, qui font souvent la part belle aux histoires d’ex-flics revenus assouvir une vieille vengeance ou aux récits adaptés de légendes fantastiques.
Le groupe assure que les films sont «sélectionnés semaine après semaine», en fonction de différents critères : genre, casting, résultats au box-office… Le nombre limité de séances est lui aussi variable : «Si le nombre de spectateurs n’est pas suffisant la première semaine, le film ne sera pas programmé la seconde et devra céder la place au prochain film indien prévu», tandis que des résultats satisfaisants en première semaine d’exploitation amèneront les programmateurs à «ajouter des séances supplémentaires dans les semaines suivantes».
Si l’engouement pour le cinéma indien au Luxembourg et l’élargissement de sa diffusion sont assez récents, Kinepolis diffuse du cinéma bollywoodien «depuis plus de 15 ans». «Nous savons quels films ont le plus de chances de plaire et lesquels risquent d’être moins appréciés par notre public», note la programmatrice – d’où la constante de ces «films d’action spectaculaires».
Mais elle ajoute que, parfois, un film d’auteur peut faire la différence : c’était récemment le cas avec All We Imagine as Light, qui au Luxembourg (par ailleurs pays coproducteur) a «fait de meilleurs résultats» que les blockbusters indiens. Le film de Payal Kapadia, porté par son Grand Prix au festival de Cannes 2024, est de retour en salles, dans le cadre d’une opération de ressortie des récentes productions des Films Fauves à l’approche des Filmpräis.
V. M.