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[Cinéma] «Eden», l’île de tous les dangers


Ron Howard dirige les acteurs Daniel Brühl et Sydney Sweeney, qui incarnent les Wittmer, sur le tournage d’Eden.

Dans les années 1930, trois groupes d’Allemands cherchent l’utopie sur une île déserte, et l’affaire vire au tragique : Eden, un thriller survivaliste doublé d’une fascinante étude de personnages, est le film le plus sombre de Ron Howard.

Fort d’une carrière d’acteur et de réalisateur couvrant six décennies, connu pour des films cultes (Cocoon, 1985; Willow, 1988), des blockbusters au triomphe international (Apollo 13, 1995; The Da Vinci Code, 2006; Solo : A Star Wars Story, 2018) et des fresques historiques (le multioscarisé A Beautiful Mind, 2001; The Missing, 2003; In the Heart of the Sea, 2015), Ron Howard n’a pas l’intention de ralentir.

Mieux : avec Eden, son nouveau long métrage, le réalisateur américain, habitué aux récits extraordinaires de personnes ordinaires, toujours empreints d’une bonne dose d’humanisme, opère un virage à 180 degrés en portant à l’écran «l’affaire des Galapagos», ou l’histoire vraie de trois groupes de colons allemands installés sur une île déserte pour une cohabitation tout sauf tranquille et qui virera à la tragédie avec, à la clé, un mystère jamais résolu.

Le récit obsède Howard depuis plus de vingt ans : «En fait, il m’a fallu des années pour m’engager dans ce projet car j’ai toujours su que ce film allait me pousser brusquement hors de ma zone de confort», déclare Ron Howard, 71 ans, au magazine Forbes.

Malgré son titre paradisiaque et son casting de rêve, Eden est un film brutal, cauchemardesque, encore assombri par son humour très noir qui oscille entre l’absurde et le dérangeant, et loin des poncifs du film américain peuplé de stars.

La nouvelle vie initiée en 1929 par le Dr Friedrich Ritter (Jude Law) et sa compagne, Dore Strauch (Vanessa Kirby), deux intellectuels ayant quitté la civilisation pour la vie sauvage sur l’île de Floreana, dans l’archipel des Galapagos, n’a rien d’idyllique : quand le film commence, en 1932, Ritter a déjà dû s’arracher toutes les dents pour éviter les infections et Strauch est de plus en plus affaiblie par sa sclérose en plaques.

L’arrivée des Wittmer (Daniel Brühl et Sydney Sweeney) et leur fils puis de la baronne Eloise Werhorn von Wagner-Bousquet (Ana de Armas) et ses deux amants, bien plus que bousculer l’équilibre de la vie des premiers arrivés, va mettre toute une utopie en péril. Moins de deux ans plus tard, la baronne et ses deux amants disparaissent sans laisser de traces, et Ritter succombe à une intoxication alimentaire.

À l’instar du roman de William Golding Sa Majesté des mouches ou de The Mosquito Coast (Peter Weir, 1981), Ron Howard et son scénariste, Noah Pink, scrutent surtout les rapports de force, les personnalités qui se confrontent, les circonstances qui réveillent la part animale de l’humain et ses différentes manifestations.

Une étude de personnages aussi passionnante qu’inhabituelle, qui se révèle dans ses moments les plus absurdes ou dérangeants – les deux n’étant jamais très éloignés –, dont un étrange banquet qui tourne au jeu des quatre vérités, l’accouchement de Margaret Wittmer, seule dans une grotte entourée de chiens sauvages, ou la première rencontre entre la baronne fraîchement débarquée et le Dr Ritter, totalement nu, comme dans une parodie de Robinson Crusoé.

Et le film d’approfondir le caractère manipulateur de la (fausse) baronne, la résilience et l’honnêteté des Wittmer face à leur nouveau style de vie, et l’hypocrisie de Ritter.

Aussi improbable que puissent paraître certaines séquences, elles ne font que retranscrire la vérité sur grand écran. Le spécialiste en la matière, Ron Howard, l’affirme à Vanity Fair : «Vous seriez choqués de savoir à quel point le film est fidèle à la réalité.»

Sur l’île de Floreana, il y a des animaux dangereux et des maladies mortelles que l’on peut contracter à tout moment, et Ron Howard lui-même a affronté cet environnement menaçant, en allant repérer les lieux réels du drame, puis en tournant le film en Australie, en pleine nature, au milieu des serpents venimeux et des insectes tueurs.

La période de production a été «très dure» selon Sydney Sweeney, parfois «terrifiante» pour Ana de Armas, et le réalisateur confie que seul Jude Law «aurait pu survivre dans ces conditions»; Howard a même dû insister pour que lui et Vanessa Kirby ne vivent pas, le long des quatre mois de tournage, dans la hutte où vivent leurs personnages.

Encore que, tout aussi redoutable que soit la vie sur cette île déserte, «le facteur le plus dangereux n’est pas Mère Nature, c’est la nature humaine», résume Ron Howard. Son film nous l’apprend bien.

Eden, de Ron Howard