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[Cinéma] «Eddington» : le cauchemar américain


Ari Aster n'a guère l'habitude de sauver ses personnages et, dans Eddington, tout le monde en prend pour son grade. (Photo : a24 films)

Le réalisateur Ari Aster et l’acteur Joaquin Phoenix font de nouveau équipe pour raconter, dans un western tendu porté par un casting XXL, une Amérique au bord de la rupture, divisée comme jamais depuis la crise sanitaire. Choc.

Joaquin Phoenix peine à mettre de l’ordre dans une Amérique au bord de la rupture dans Eddington, néo-western au casting de luxe, qui se veut un miroir satirique des États-Unis d’aujourd’hui. Le film est l’œuvre de l’un des chouchous du cinéma indépendant américain, Ari Aster, connu pour ses films de genre, de Hereditary (2018) à Midsommar (2019). Après le surprenant Beau Is Afraid (2023), il retrouve Joaquin Phoenix (Joker) et en fait le shérif d’Eddington, une bourgade du Nouveau-Mexique au bord de l’ébullition, en pleine pandémie de covid.

Face à cet homme conservateur rétif au port du masque au nom de la liberté et du bon sens, Pedro Pascal (la série The Last of Us), la semaine prochaine à l’affiche de The Fantastic Four : First Steps, joue un maire tentant de faire appliquer les normes sanitaires. Ce progressiste rêve de développer la ville en y attirant un centre de données. Avant le tournage, Ari Aster, qui a grandi au Nouveau-Mexique, a embarqué Joaquin Phoenix dans une longue tournée de cet État du Sud.

Théories du complot, isolement et racisme

«On a rencontré quelques shérifs», a raconté l’acteur à Cannes, d’où le film est reparti bredouille. L’un d’entre eux les a particulièrement inspirés. «Il y avait quelque chose d’intéressant dans sa nature, quelqu’un de conservateur politiquement, mais qui avait un sens moral très affirmé. Quelqu’un de bien, avec lequel on se sent en sécurité.» Mais, dans le film, lorsque le shérif décide de briguer le fauteuil du maire, la guerre est déclarée.

Théories du complot, violence, désinformation, isolement, racisme dans la foulée de la mort de George Floyd, Afro-Américain tué par un policier… Au début de la pandémie de covid, «c’est le moment où la fièvre a été la plus forte. C’est là que j’ai commencé à écrire», a expliqué Ari Aster lors d’une rencontre avec des journalistes. «Ce film parle de ce qui se passe quand les gens ne sont plus d’accord sur ce qui est réel ou non. C’est quelque chose qui commence à tous nous atteindre, mais plus particulièrement aux États-Unis, dont je peux parler parce que j’y vis.»

Ce film parle de ce qui se passe quand les gens ne sont plus d’accord sur ce qui est réel ou non

Il poursuit : «Le dernier lien avec l’ancien système s’est rompu pendant le covid. Ça a été le début de quelque chose d’énorme.» Ce quatrième film a été imaginé avant le retour de Donald Trump au pouvoir. Ari Aster espérait le terminer pour une sortie pendant la période électorale, mais les mois de grève qui ont paralysé Hollywood en 2023 l’ont fait réviser ses plans. Le résultat est un tableau roboratif, satirique et ultraviolent, d’une Amérique au bord de la rupture. Un western où les téléphones portables et les réseaux sociaux ont remplacé les colts.

Le coup de gueule de Pedro Pascal

Ari Aster n’a guère l’habitude de sauver ses personnages et, dans Eddington, tout le monde en prend pour son grade, adeptes des théories du complot et suprémacistes blancs, mais aussi militants antiracistes du mouvement Black Lives Matter et progressistes, eux aussi tournés en ridicule. Pour interpréter cette galerie de personnages, aux côtés de Joaquin Phoenix et Pedro Pascal, le réalisateur a fait appel à des stars.

Parmi elles, Emma Stone joue l’épouse du shérif, une ancienne victime de violences sexuelles tombée sous le charme d’un gourou conspirationniste, joué par Austin Butler (Elvis). À Cannes, porté par ce climat délétère, Pedro Pascal n’avait pas hésité à hausser le ton pour condamner la politique de Donald Trump, arguant qu’il ne fallait pas se laisser intimider et que Hollywood devait garder la tête haute : «Que ceux qui essaient de vous faire peur aillent se faire foutre!», a lancé l’acteur de 50 ans. «Continuez à raconter des histoires, vous exprimer et à vous battre pour être qui vous êtes», a-t-il poursuivi. «Ne les laissez pas gagner!»

Eddington, d’Ari Aster.