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[Cinéma] Du live sur grand écran à la Cinémathèque


Martin Scorsese entouré de ses idoles, les Rolling Stones, lors du tournage de Shine a Light.

Les concerts filmés, c’est aussi du cinéma. Si le genre se rapproche du documentaire, plusieurs grands cinéastes de fiction se sont prêtés à l’exercice. Début octobre, le film de concert débarque à la Cinémathèque. Zoom.

Film de concert et «rockumentaire»

Un film n’est pas un concert. Dans une salle de cinéma, il faut se taire; on n’applaudit pas à chaque fin de séquence; éventuellement, au moment du générique. Et il est interdit de sortir le téléphone pour filmer. Aussi, il s’avère bien difficile de pogoter sur le fauteuil rouge. Cela dit, dans les stades ou dans certaines salles de concert, les grands écrans, à côté de la scène, peuvent donner l’impression d’être au cinéma. Mais quand même : ciné et live, deux salles, deux ambiances?

Un genre de film fait la jonction entre les deux : le film de concert. Pour la définition la plus basique, il s’agit d’une captation live, «comme si vous y étiez». Quelques-uns, qu’ils soient réalisateurs, photographes ou clippeurs, voire les trois à la fois, s’en sont fait une spécialité, comme, au hasard, Anton Corbijn avec Depeche Mode (Devotional, 1993; One Night in Paris, 2001; Alive in Berlin, 2013).

Car, s’il y en a dont le rêve est de voir leur groupe préféré en concert, d’autres veulent, à tout prix, le filmer. C’est le cas de Martin Scorsese : son Shine a Light (2008) capture, avec pas moins de seize caméras, la performance de ses idoles, les Rolling Stones, au Beacon Theatre de New York; il s’agit là de traquer des bêtes de scène. Au rayon ciné-musique, le réalisateur de New York, New York (1977) est également responsable de No Direction Home (2005) et Rolling Thunder Revue (2019). Il est question de deux films sur Bob Dylan qui débordent du cadre «film-concert», pour devenir une compilation de tubes et de morceaux (de bravoure) inédits.

Alors : des films faits par un fan, pour les fans? Pas seulement : des témoignages, aussi, sur la société américaine, de la montée de la conscience politique au mouvement des droits sociaux. Sans oublier non plus, chez Scorsese, Feel Like Going On (2003), un reportage qui remonte aux origines africaines du blues, avec Salif Keita, Taj Mahal ou Ali Farka Touré, ainsi que des séquences de concerts et d’autres d’interviews, comme un making-of.

Le principe est le même avec Buena Vista Social Club (Wim Wenders, 1999), un film qui alterne passages en live et enregistrements studio, déambulation dans La Havane et échanges avec les artistes – Compay Segundo, Ry Corder… Car le film de concert, en ne filmant pas que du live, se rapproche du documentaire; il existe même un terme anglais, entre le néologisme et le mot-valise, qui désigne l’alliage des deux pôles, c’est «rockumentary».

Grand spectacle

Avant de réaliser The Silence of the Lambs (1991) ou Philadelphia (1993), Jonathan Demme marque autant le rock que le cinéma avec Stop Making Sense (1984), son film-concert sur les Talking Heads au Pantages Theatre de Los Angeles.

Plus qu’une simple captation, c’est de l’immersion dans l’envers du décor; il s’agit aussi de «capter l’énergie», de sentir la moiteur et les vibrations, jusqu’aux murs qui frissonnent. À ce propos, David Byrne, des Talking Heads, est un chanteur «cinégénique» : Spike Lee l’a, lui aussi, filmé dans American Utopia (2020), autre film-concert, tiré du spectacle éponyme de Broadway.

Car c’est bien cela que doit être un concert : un spectacle. Donc, un potentiel film palpitant. Pink Floyd : Live at Pompeii (Adrian Maben, 1972) illustre le propos, en tant que concert joué dans un décor grandiose (l’amphithéâtre de Pompéi), mais… sans public.

Puisque personne n’a pu voir le live en temps réel, tout le monde a pu le voir après – le film-concert a son utilité. Autre immortalisation précieuse : Get Back : The Rooftop Concert, soit le dernier live des Beatles en 1969, sur le toit d’Apple Music, d’abord filmé par Michael Lindsay-Hogg, puis «remasterisé» en 2022 par Peter Jackson.

Pop et pop-corn

Ce n’est pas un hasard si le premier film parlant, Jazz Singer (Alan Crosland, 1927), est un film chantant – avec du live. Quant aux comédies musicales, les passages chantés sont un peu, par définition, des concerts dans le film. De plus, les films musicaux contiennent aussi, parfois, des instants live à proprement parler – de Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1974), avec l’émouvant Old Souls de Jessica Harper, à Blues Brothers (John Landis, 1980), qui intègre une prestation scénique et drolatique de Cab Calloway – il y a bien là, dans la comédie musicale, à la fois du «musical» et de la «comédie».

Avec 9 Songs (2004), Michael Winterbottom invente un genre dont il restera le seul représentant : le film-concert-sexuel. C’est très simple : tour à tour, il y a une séquence sexe et une séquence live (Black Rebel Motorcycle Club), une séquence sexe et une séquence live (Primal Scream), et ainsi de suite.

Dans les biopics, les scènes de concerts sont, bien sûr, incontournables, de The Doors (Oliver Stone, 1991) à Walk the Line sur Johnny Cash (James Mangold, 2006), en passant par Michael Jackson’s This Is It (Kenny Ortega, 2009). Car si le chanteur est un héros, le voir en concert, c’est le voir «en action». Monter sur scène constitue l’apothéose; le live est, par extension, l’allégorie même de la célébration, via les cris de folie et les applaudissements.

Enfin, à part 9 Songs, un film peut contenir un bout de concert de plusieurs artistes, comme c’est le cas de Woodstock (Michael Wadleigh, 1970) ou son contrechamp, Summer of Soul (Questlove, 2021), un film sur le Harlem Cultural Festival de 1969, avec Stevie Wonder, Sly and the Family Stone ou encore Nina Simone. Après le «film de concert», un nouveau genre : le «film de festival».

À voir

Le 2 octobre à 18 h 30

Let’s Get Lost / Bruce Weber (1988)

Le 2 octobre à 20 h 45

Michael Jackson’s This Is It / Kenny Ortega (2009)

Les 3 et 23 octobre à 18 h 30

Buena Vista Social Club / Wim Wenders (1999)

Le 3 octobre à  20 h 30

Madonna : Truth or Dare / Alek Keshishian (1991)

Le 4 octobre à 18 h 30

Les Reines du jazz / courts métrages

Le 5 octobre à 20 h 30

Shine a Light / Martin Scorsese (2008)

Les 5 et 26 octobre à 18 h 30

Stop Making Sense / Jonathan Demme (1984)

Dans le cadre du cycle «Live Music on Film»