Nouveau coup de poing adressé par la réalisatrice Kathryn Bigelow : c’est « Detroit », plongée dans les émeutes d’août 1967 dans les rues de la principale ville du Michigan.
On la surnomme «la guerrière». À 66 ans, Kathryn Bigelow est une des femmes les plus puissantes (si ce n’est la plus puissante) du cinéma américain. Elle qui a été la première (et, à ce jour, la seule femme) à avoir reçu l’Oscar de la catégorie «meilleur réalisateur», bouscule l’ordre établi. Aucun sujet, dès l’instant où il est empli de possibles réflexions, ne lui semble interdit.
Ainsi, après le quotidien de démineurs ou l’assaut pour tuer un leader terroriste, avec Detroit, elle s’attaque cette fois au racisme. Et, comme à son habitude, la réalisatrice ne fait pas dans la dentelle ni dans la guimauve et encore moins dans l’eau de rose. Bigelow, c’est le cinéma du bruit et de la fureur… et les émeutes qui eurent lieu à Detroit dans la nuit du 25 au 26 août 1967 ont fait matière pour un film coup-de-poing.
En cette fin des années 60, l’Amérique est touchée au plus profond d’elle-même. Son armée est empêtrée dans le bourbier de la guerre du Vietnam. Et au pays, la ségrégation raciale (à l’encontre des Noirs, qu’à l’époque on n’appelle pas encore Afro-Américains) alimente la contestation. À Detroit, principale ville du Michigan et surnommée «Motown», (NDLR : contraction de «motor» et «town», ce qui veut dire «ville de l’automobile»), depuis deux jours, l’insurrection gronde.
«Suis-je la mieux placée pour raconter cette histoire ?»
Et dans cette nuit du 25 au 26 août 1967, des coups de feu claquent à proximité d’une base de la Garde nationale. La police encercle l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Ne respectant aucune procédure légale, les policiers attrapent quelques clients de l’hôtel, les passent à la question, veulent des aveux. Bilan : trois hommes, non armés, abattus à bout portant, et plusieurs autres, blessés…
Pour cette chronique d’une nuit de haine et de violence, la réalisatrice n’a rien changé à sa manière de tourner. Ainsi, comme pour The Hurt Locker, elle a utilisé trois et parfois même quatre caméras simultanément, tournant en permanence autour des comédiens. Kathryn Bigelow précise aussi qu’elle préfère éclairer tout le plateau pour que les comédiens puissent évoluer où bon leur semble et être flexibles. Enfin, elle ajoute qu’elle peut tourner en même temps des gros plans et des plans larges, ce qui lui permet de mettre en boîte une scène en deux ou trois prises. C’est ce qu’on appelle «le style Bigelow». Et c’est également, assure-t-elle, ce qui imprime le rythme, la couleur ou encore l’ambiance à ses longs métrages…
Une autre caractéristique de sa patte tient dans la constante que la réalisatrice ne se soucie pas du confort du spectateur. Oui, on est au cinéma, mais il ne doit pas faire oublier la vie… Un film de Kathryn Bigelow, avec son lot de bruit, de fureur et de violence, n’est pas seulement un geste esthétique. Detroit, c’est un fait divers qui tourne au drame mais qui, surtout, s’inscrit dans l’histoire, celle qu’on dit «grande». Les émeutes de Detroit, c’est le racisme et aussi la révolte des Noirs et l’explosion de la musique afro-américaine avec le label Motown.
Porté par le jeune (25 ans) et formidable acteur britannique John Boyega (vu dans Imperial Dreams ou The Circle), Detroit est un grand film. Celui d’une juste colère, qui s’est finalement – et malheureusement – retournée contre elle, plusieurs articles et tribunes dans la presse américaine véhiculant l’idée que seul un réalisateur ou une réalisatrice noire pourrait s’emparer d’un tel sujet – et le traiter avec pertinence. «Suis-je la mieux placée pour raconter cette histoire ? Certainement pas. Mais j’ai pu le faire, alors que cela faisait 50 ans qu’elle attendait d’être racontée», a-t-elle répliqué.
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan