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[Cinéma] Daaaaaalí ! : c’est fou, non?


Entre illusion et réalité, les rêves se répètent et s’allongent, les personnages apparaissent et disparaissent, les jeux de miroirs se multiplient, comme les boucles temporelles et autres mises en abyme. (Photos : atelier de production – france 3 cinéma 2023)

Habitué à raconter l’histoire d’anonymes boiteux, Quentin Dupieux revient cette fois au cinéma avec une figure bien plus connue : Salvador Dali. Une singulière déclaration d’amour à l’artiste incarné par pas moins de cinq acteurs différents.

Régulier comme les rythmes technoïdes qu’il distille sous le nom de Mr. Oizo, Quentin Dupieux ne loupe jamais son rendez-vous annuel avec le cinéma. Réalisateur prolifique qui avance, libre et affranchi, au cœur d’un système trop rigide pour lui, ses films lui ressemblent un peu : dingues et mélancoliques, mais surtout trop insolites pour suivre une quelconque mode ou habitude ou un quelconque succès. Rappelons que le précédent, Yannick (sûrement l’un des plus abordables), a été la surprise de l’été dernier avec 450 000 entrées en France (et une nomination au César pour Raphaël Quenard). Une réussite qui ne résume cependant pas sa filmographie. Quelques-unes de ses œuvres, certes, trouvent un large public (comme Le Daim), tandis que toutes les autres cherchent à le déstabiliser avec leurs récits de pneu psychopathe (Rubber), de flics barrés (Wrong Cops, Au poste!), de grosse mouche (Mandibules), de faille spatio-temporelle (Incroyable mais vrai) et de justiciers façon Bioman qui filent le cancer (Fumer fait tousser).

Habitué à raconter l’histoire d’anonymes boiteux qu’il plonge dans un bain surréaliste et loufoque, il se tourne pour cette cuvée 2024 vers une figure emblématique de l’art du XXe siècle : Salvador Dalí. Pas forcément l’artiste connu pour ses montres molles, mais plutôt cette célébrité hors sol que Quentin Dupieux, cinquante ans cette année, découvre enfant à la télévision française : celle de la publicité pour le chocolat Lanvin, assez inquiétante. Ou celle des années 1980, en roue libre, mégalomane et provocateur, génie de la communication qui a compris que l’on pouvait utiliser la télévision pour se mettre en scène et s’inventer une image, quitte à dire n’importe quoi et à en faire trop. Si, à ses débuts, le réalisateur avait signé Nonfilm (2001), voici alors un non-biopic, nouvelle forme qui s’est imposée à lui selon l’idée que la plus belle œuvre de Dalí, c’est sa personnalité. Oubliez donc la visite guidée linéaire : ici, le musée a des couloirs sans fin, des salles labyrinthiques, des escaliers abruptes et aucune sortie de secours.

Dans cette singulière déclaration d’amour à l’artiste et à l’homme, Quentin Dupieux ne pouvait imaginer un seul acteur à l’affiche. Ils seront donc cinq à l’incarner, selon une équation qui ne répond à aucune logique, sauf celle du casting qui en impose : Pio Marmaï, Gilles Lellouche, Édouard Baer, Jonathan Cohen et, dans la peau du vieux Dalí, Didier Flamand. Tous partagent des attributs en commun : les moustaches qui rebiquent, la canne, les yeux exorbités, la démarche poseuse et cette façon d’accentuer les syllabes en roulant les «r». Et tous se relayent devant Anaïs Demoustier, la «petite Française», ancienne pharmacienne-boulangère devenue journaliste qui cherche coûte que coûte à interviewer la légende. Enfin, en appui, ne lésinant pas sur les moyens pour contenter l’ego démesuré du maître, un producteur odieux (Romain Duris). Une folle assemblée qui, à l’écran, se mêle à l’envi à travers des histoires qui s’emboîtent les unes aux autres comme des poupées russes. Jusqu’au vertige…

Un film fou pour un génie tout aussi extravagant que lui

En ouvrant son film (présenté à la dernière Mostra de Venise) avec la reproduction d’un tableau, Le Piano-Fontaine, Quentin Dupieux donne le ton : Daaaaaalí ! va sortir du cadre pour devenir, une fois encore, son terrain de jeu où l’on rit et l’on s’étonne. Un laboratoire dans lequel il poursuit également ses expériences, dans un autre hommage, assez logique pour le coup : le cinéma de Buñuel, l’ami du peintre avec lequel il réalise Un chien andalou en 1929.

Dans une même veine, entre illusion et réalité, ici, les rêves (sujet cher à Dalí) se répètent et s’allongent, les personnages apparaissent et disparaissent, les jeux de miroirs se multiplient, comme les boucles temporelles et autres mises en abyme. Un grand puzzle soutenu en plus par la ritournelle entêtante à la guitare sèche… de Thomas Bangalter (Daft Punk). Oui, tous les curseurs sont poussés au maximum, et comme sur un grand huit, il faut s’accrocher!

En somme, Daaaaaalí ! est un film fou pour un génie tout aussi extravagant que lui. Malgré tout, dans ce jeu de piste qui évite la banalité, Quentin Dupieux glisse des réflexions sur la valeur de l’art, la prophétie, les songes et les fantasmes, la peur du temps qui passe et l’angoisse de la mort (notamment à travers le personnage de Didier Flamand, perdu et inquiet). Il disperse aussi, sans en avoir l’air, de subtiles références à l’œuvre de l’artiste (un crâne, un paysage, une signature…), aux «eighties» (le match de tennis Noah-Wilander) et à la publicité (Perrier). Mais surtout, le réalisateur montre qu’il existe différentes manières de faire et de voir le cinéma, en inventant (et ratant parfois) d’autres formes. Une audace qui se vérifie d’année en année, et à laquelle Salvador Dalí aurait sûrement répondu : fan-tas-ti-que!

Daaaaaalí ! de Quentin Dupieux avec Anaïs Demoustier, Édouard Baer, Jonathan Cohen… Genre Comédie. Durée 1 h 18