Avec Cruella, Disney poursuit la modernisation de ses classiques, au point d’en oublier son public cible. Car dans ce duel entre Emma Stone et Emma Thompson, tout est sombre… et punk !
Dans un rythme qui s’accélère sérieusement, Disney recycle à tout-va. Pourquoi, en effet, inventer des histoires quand on a sous la main un épais catalogue d’héros et héroïnes sur mesure, qui ne demandent qu’à être dépoussiérés? Depuis le début des années 1990, le studio ne s’en prive pas et revisite régulièrement ses classiques (Le Livre de la jungle, Alice au pays des merveilles, La Belle au bois dormant, Cendrillon, La Belle et la bête, Dumbo, Aladdin, Le Roi Lion…). Ils bénéficient alors d’un sérieux lifting grâce aux nouvelles technologies. Certains s’aventurent même sur de nouveaux terrains, loin des originaux.
C’est le cas de ce Cruella, inspiré des 101 Dalmatiens (1961), célèbre dessin animé qui a déjà accouché de deux mauvais remakes en chair et en os, avec Glenn Close dans le rôle de la méchante à la coiffure «Malabar Bigoût».
On retrouve d’ailleurs cette dernière à la production, accompagnée d’une autre actrice de légende : Emma Thompson qui, pour le coup, s’offre aussi un rôle à l’écran, assez noir. Elle l’affirme d’ailleurs sans hésiter : «C’est vraiment très sombre pour un Disney. C’est même le plus sombre que j’ai vu depuis bien longtemps !», confie la comédienne doublement oscarisée.
«Intéressée par le côté obscur»
Lors de la même conférence de presse virtuelle, celle qui incarne l’héroïne romanesque dans Raison et sentiments ou la médium loufoque de la saga Harry Potter avoue avoir pris du plaisir à jouer une méchante comme la baronne von Hellman, styliste de renom prompte à user de son influence, voire de violence, pour écraser la concurrence.
«Je suis très intéressée par le côté obscur des personnages féminins. Ne sommes-nous pas toutes supposées être bonnes et gentilles ?», dit Emma Thompson dans un rire, avant de poursuivre sur le même ton cynique : «Je n’ai pas une grande expérience en matière de gens méchants, endurcis et narcissiques», même s’«il y a un certain nombre d’entre eux dans le monde du spectacle»…
Toute aussi radicale et ambitieuse, sa principale rivale dans le film n’est autre qu’Emma Stone, un temps muse de Woody Allen avant de succomber au charme des claquettes et de Ryan Gosling (La La Land). Elle enfile ici les habits du premier rôle, celui de Cruella d’Enfer, amatrice de fourrures, de berlines et créatrice déjantée, mais pas encore assez sociopathe pour vouloir écorcher des chiens à pois afin de satisfaire ses caprices en matière de haute couture…
Car oui, la mode est au centre des affrontements, dans une ambiance digne de Vivienne Westwood, agrémentée d’une bande-son rock et de toute la garde-robe des «seventies», entre manteaux afghans, jupes ultra longues et bottes vernies.
Même les dalmatiens sont menaçants
«Et quelles robes, mon Dieu !», souffle même Emma Thompson, notamment devant cette traîne de près de vingt mètres de long flottant derrière une benne à ordures en plein cœur de Londres. «C’était tout simplement phénoménal. Mais on ne peut pas envisager mettre ça dans la vraie vie !», lance Emma Stone, qui la porte pourtant à merveille.
Avec son fond de teint blanc et ses penchants pour le cuir, genre Edward aux mains d’argent, l’actrice raconte ici la transformation de son personnage – c’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un préquel. On la découvre d’abord écolière rebelle, façon Punky Brewster, avant qu’elle ne succombe peu à peu aux appels de la schizophrénie pour finir en Harley Quinn, préférant toutefois la canne à la batte de baseball.
Dans l’effervescence punk de l’Angleterre des années 70, Cruella , contrairement à ses prédécesseurs, ne cherche pas à plaire aux plus jeunes, même s’il lui arrive de jouer la carte de l’humour grâce à son duo d’hommes de main (pas si malhabiles que ça) joué par Paul Walter Hauser et Joel Fry. Car tout le reste est sombre et désenchanté. À preuve, même les dalmatiens sont menaçants !
Sur le plateau, les «chiens étaient très doux», rassure Emma Thompson, et il aura fallu des trucages informatiques pour leur donner un air «méchant». De quoi accompagner les aboiements d’un I Wanna Be Your Dog d’Iggy Pop de circonstance. Disney, lui, n’écoute plus et a déjà la tête à une suite, annoncée pour 2022. On ne change pas une recette qui gagne.
Grégory Cimatti