La plage en moins et le froid en plus… Le festival du Film brésilien reprend ses habitudes au Luxembourg, et pour son retour, célèbre les femmes et un modèle : Gal Costa.
Mercredi, la Cinémathèque s’habillait de vert, de bleu et de jaune avec, juste à côté de l’écran, un groupe qui distillait des airs tranquilles et ensoleillés. Une mise en bouche en musique qui se justifie pour plusieurs raisons : d’abord pour conjurer la vague de froid de l’extérieur et chauffer l’ambiance. Ensuite pour rappeler que le film de la soirée honore une grande chanteuse. Enfin pour fêter le retour du festival du Film brésilien, en pause depuis six ans en raison de la refonte de l’association que le porte : la bien nommée Cultura Brasileira em Luxemburgo.
À sa tête aujourd’hui, Dominique Santana, présidente que l’on connaît mieux au pays depuis son documentaire interactif A Colônia Luxemburguesa, où elle remonte ses racines familiales et raconte l’exode massif de migrants luxembourgeois vers l’État de Minas Gerais afin d’y ériger une usine colossale de l’ARBED. «Les deux pays partagent une histoire commune liée à l’acier. Cela fait plus d’un siècle qu’il y a des échanges réguliers entre eux», dit-elle. À ses côtés, Maria Capus, trésorière de l’ASBL, s’en veut la témoin : «Je suis le fruit de cette relation!», lâche-t-elle dans un sourire.
Après Esch 2022, où elles observent que le dialogue et les attaches n’ont pas été coupés malgré 7 400 kilomètres de distance, elles décident de relancer la machine cinématographique avec une huitième édition d’un rendez-vous démarré en 2011. Déjà pour faire plaisir à la communauté brésilienne du Luxembourg (estimée l’année dernière à 3 000 âmes). Et pour faire «passer des messages» et «générer un impact», ce en quoi le 7e art est «très efficace», précise Dominique Santana. Ainsi, jusqu’à dimanche, dans une rythmique concise, ce sera la condition de la femme qui animera l’écran, les conférences, la table ronde et les discussions, notamment tout le week-end à Dudelange (au CNA). Avec comme argument hautement «sensible» le film Angela de Hugo Prata, sur un tragique féminicide.
Le Brésil, ça n’est pas que le football, la caïpirinha et la samba!
Comme tout festival qui se respecte, de Villerupt au CinEast, celui brésilien cherche aussi à «casser les clichés», affirme Maria Capus. Sa présidente poursuit : «Le Brésil a une grande diversité culturelle que l’on aimerait bien montrer ici. Ce n’est pas que le football, la caïpirinha et la samba!». C’est vrai, il y a également la bossa-nova et la chanson, comme le démontre le choix du long métrage d’ouverture, sorti en 2023 au Brésil : Meu Nome é Gal, de Dandara Ferreira (en duo avec Lô Politi) qui s’était déjà illustrée avec une mini-série en 2017 (O Nome Dela é Gal). Entre les deux œuvres, un même sujet : la chanteuse-guitariste Gal Costa, «l’une des artistes les plus importantes au Brésil».
L’objectif de la réalisatrice, qui affiche sur sa veste une discrète broche aux couleurs du Brésil et du Luxembourg, est de «dévoiler la femme derrière l’artiste». Musicalement, rappelons tout de même que Gal Costa, décédée fin 2022 avant que Dandara Ferreira ait pu lui montrer le film qu’elle a «fait pour elle», est considérée comme la muse éternelle du tropicalisme, mouvement contre-culturel né en pleine dictature dans les années 1960, mélangeant samba, musique populaire, jazz et rock psychédélique. Au milieu d’un tas d’hommes (Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé, le groupe Os Mutantes), elle fait valoir sa voix cristalline qu’elle va graver sur une trentaine de disques aux tubes entêtants (Baby, Chuva de Prata, Divino Maravilhoso, Sebastiana…).
«Humainement, poursuit la cinéaste, elle brise aussi beaucoup de frontières.» Moins politique que ses confères (Caetano Veloso et Gilberto Gil ont dû s’exiler en 1969 à Londres après avoir été arrêtés par le régime militaire), elle va user de son corps comme arme de séduction. Sa présence, son charisme, sa chevelure brune abondante, son sourire ravageur, ses tenues parfois provocantes et son rouge à lèvres ardent l’ont érigée en sex-symbol, loin de l’image de l’adolescente timide de ses débuts, quand on l’appelait encore «Gracinha». Un temps, elle a même été comparée à Janis Joplin en raison de sa sensualité rebelle. «Elle écarte les jambes sur scène pendant qu’elle joue de la guitare. Elle est la première à faire ça!», ponctue Dandara Ferreira.
Pour elle qui l’a longuement côtoyée, un mot revient sans cesse pour la définir : «courage». «Ce n’était pas facile d’être une femme à cette époque. Mais elle a un rêve et fait tout pour s’y accrocher. Elle n’a peur rien.» Après une longue période de dictature (1964-1985), et bien qu’elle soit toujours restée discrète sur ses convictions politiques, celle qui est lauréate d’un Grammy en 2011 a pris position contre la politique culturelle du président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Oui, les fractures sont toujours vives dans ce pays-continent, déchiré et sublimé par ses antagonismes. De quoi donner des arguments et des sujets à un festival décidé, lui aussi, à faire entendre sa voix et à durer.