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[Cinéma] Club Zero : jeûnes premiers


Qui est Miss Novak : un dangereux gourou, une illuminée qui cherche à contourner la science ou une rédemptrice mystique?

Des enfants qui arrêtent de manger et le monde vacille : entre thriller choc, conte et comédie noire, Club Zero, de Jessica Hausner, livre une acide satire ultracontemporaine.

Un seul repas vous manque et tout est déréglé. Dans Club Zero, la cinéaste autrichienne Jessica Hausner explore les dérives de nos sociétés occidentales dans une fable saisissante, déguisée en thriller glacial. Emprise et manipulation mentale, société d’abondance, manque d’éducation, désinformation, inégalités sociales et urgence climatique… Les inquiétudes relatives à la jeune génération sont toutes cristallisées à l’arrivée de Miss Novak (Mia Wasikowska) dans un lycée ultraprivé : nutritionniste radicale, elle encourage son petit groupe d’élèves à adopter un concept novateur, l’«alimentation consciente». Le début d’une révolution insidieuse pour les jeunes, tandis que les parents tentent de comprendre qui est Miss Novak : un dangereux gourou, une illuminée qui cherche à contourner la science ou une rédemptrice mystique ?

«La nutrition est un moyen de montrer les codes et les règles qui régissent notre société», expliquait Jessica Hausner l’année dernière au festival de Cannes, où son film était en compétition. «Lorsque, dans un dîner, une personne ne mange pas, les autres se sentent coupables ou offensés. Cela montre comment les règles (alimentaires) sont strictes et importantes dans la société.»

Du non-respect de la bienséance et des rituels communément acceptés à la dérive sectaire, la frontière est mince. La réalisatrice n’hésite pas à la franchir : progressivement, et en laissant infuser l’idée que contrôler son alimentation revient aussi à avoir le contrôle sur son corps et son esprit, Miss Novak convainc ses élèves de rejoindre le secret et très fermé Club Zero et sa philosophie de la famine – «un exemple de croyance radicale», commente Jessica Hausner dans ses notes de production.

Miss Novak mêle les peurs et les désirs de ses élèves à son idéologie

La réalisatrice, disciple et héritière de son compatriote Michael Haneke, poursuit ainsi une œuvre forcément contemporaine, qui explore tout entière les chemins qui mènent l’humain à l’aliénation : Hotel (2004) se confrontait aux thèmes de l’isolation et du rejet; Amour fou (2014) se penchait sur le suicide, à travers les destins tragiques du poète Heinrich von Kleist et de sa cousine, Henriette; Little Joe (2019) mêlait dérives de l’industrie pharmaceutique et poursuite du bonheur.

Jessica Hausner : «Il y a une certaine forme d’absurdité propre à notre existence : quand on prend un peu de recul, beaucoup de choses auxquelles nous croyons et que nous faisons semblent ridicules, absurdes ou futiles. Dans mes films, je cherche toujours un point de vue distancié pour réfléchir à cette question.» Dans Club Zero, chaque personnage a ainsi sa propre conception de la vérité, sur laquelle la cinéaste veut faire réfléchir tout en maintenant l’ambiguïté, n’approuvant ni ne condamnant le comportement alimentaire des élèves.

Cette distance, l’auteure l’installe d’abord dans sa mise en scène, caractérisée par une esthétique étrange faite d’angles de caméra inhabituels, de zooms lents sur le visage impassible de Miss Novak, de plans symétriques ou décadrés, d’un humour étouffant et d’une musique basée sur des percussions, qui frappent automatiquement en signe d’un mauvais présage. «Nous ne savons pas précisément à quelle époque et dans quel endroit se déroule l’histoire. L’anglais a été utilisé comme langue universelle des internats et comme langage cinématographique universel», note encore Jessica Hausner sur ce film au casting international, et définit aussi ses personnages «davantage (comme) des archétypes que (comme) des êtes humains».

Dans le dernier acte du film, l’une des jeunes adeptes du Club Zero «tient l’industrie agroalimentaire pour responsable de la destruction d’une grande partie de l’environnement, ainsi que de la santé des gens. Et je pense personnellement qu’elle a raison, développe la cinéaste, mais elle choisit d’en faire un acte politique par le geste, en mangeant son propre vomi» devant des parents médusés, dans une ambiance au carrefour de la comédie trash et de l’horreur pure. «Elle veut être entendue (…) C’est pourquoi elle arrive à de tels extrêmes.»

Tout le long de ce film en zone grise, au détour de séquences choc ou d’envoûtantes séances de méditation, Jessica Hausner entend «montrer comment fonctionne la radicalisation». Miss Novak «mêle les peurs et les désirs de ses élèves à son idéologie» : «C’est ce qui la rend si convaincante et si dangereuse : ses convictions coïncident avec la volonté des jeunes gens de changer le monde.» Mia Wasikowska, actrice épatante qui incarne la professeure avec un flegme glacial, se dit aussi touchée et concernée que la réalisatrice par l’anxiété de la jeune génération face au monde dont ils hériteront.

«Ils viennent au cours de Miss Novak avec l’intention (…) de réduire leur impact sur l’environnement ou d’être plus conscient (sur leurs habitudes de consommation), ce que beaucoup d’adultes ne sont pas.» «Ils s’enfoncent dans la radicalité, mais ils ont déjà franchi la ligne rouge (…) en arrêtant de manger.» Mais Jessica Hausner rappelle l’importance de la protagoniste sur les choix faussement indépendants de ses élèves : «Elle est convaincue d’aider ses élèves» quand elle les pousse à l’autodestruction. «C’était la clé du rôle de Mia», conclut-elle.

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