Avec Bridget Jones : Mad About the Boy sur les écrans, c’est le retour de la célibataire endurcie au cœur d’artichaut, mais aussi celui d’un personnage attachant qui reflète son temps. Décryptage.
«Romcom» et pulsations de l’époque
La comédie romantique – appelée aussi «romcom» – s’empare inévitablement des mœurs d’une époque; s’il s’agit de faire vibrer les cœurs, ce genre tâte le pouls de la société. Il s’agit bien d’un repère, aussi bien en ce qui concerne la psychologie des personnages que sur le plan de la moralité de l’histoire – sa conclusion autant que sa morale. Rembobinons jusqu’au début des années 2010. Curieusement, en 2011, sortent conjointement Sexfriends (Ivan Reitman) et Friends with Benefits (Will Gluck). Pour grossir le trait, c’est un peu comme si, d’un coup, le cinéma avait obtenu des droits pour sortir un biopic sur Coco Chanel ou Yves Saint Laurent. Car il y a un phénomène, par-delà des frontières, à savoir celui des relations sexuelles entre amis – pour les deux films, le pitch est dans le titre. Et la désignation nouvelle.
Alors que le roman Bridget Jone’s Diary d’Helen Fielding paraît en 1996, c’est au démarrage du nouveau siècle, en 2001, que sort le film du même nom de Sharon Maguire. Il y a un tournant, tant dans la société que dans la «romcom», c’est l’avènement du monde virtuel. À cheval entre le livre et le long métrage Bridget Jones, You’ve Got Mail (Nora Ephron, 1998) raconte une histoire d’amour qui naît à partir d’un nouveau moyen, en l’occurrence technologique : internet. Pile quinze ans plus tard, dans Her de Spike Jonze, Théodore (Joaquin Phoenix) tombe amoureux de Samantha, qui n’est autre qu’une IA (Scarlett Johansson).
Mais quel rapport y a-t-il avec Bridget Jones? Eh bien, si les films précités sont marqués par leur époque, l’un par le passé via les échanges de mails entre deux inconnus, l’autre avec une fantasmagorie proche de la science-fiction, la «célibattante» jouée par Renée Zellweger est, quant à elle, intemporelle. Et, en même temps non. Bridget Jones est une protagoniste du XXIe siècle sujette aux moyens qui mènent soit au bonheur sentimental ou sexuel, soit droit dans le mur. Dans Bridget Jones : Mad About the Boy (Michael Morris), elle découvre Tinder. C’est parti pour une succession de péripéties.
Happy end ou tragédie
Qu’est-ce qui caractérise une «romcom»? Au début et même tout le long, c’est l’incompatibilité, ou pour faire écho au vocabulaire 2.0, les deux personnages ne «matchent» pas. Ils sont comme des aimants, oui, mais positionnés à l’envers – la vie fait en sorte qu’ils se repoussent. Les motifs sont nombreux : à cause d’une différence de classe sociale, à l’instar de Cinderella (Wilfred Jackson et Hamilton Luske, 1950) et Pretty Woman (Garry Marshall, 1990), ou c’est un problème dû à la différence d’âge, comme dans 20 Ans d’écart (David Moreau, 2013). Les enjeux se situent dans la résolution de cette incompatibilité. Aussi, le classique «ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants» renvoie à la conclusion d’une histoire. Dans une «romcom», une histoire d’amour qui commence signifie que le film est fini. C’est le cas, pour citer des films récents, aussi bien de Let the Right One In (Tomas Alfredson, 2008) que de Silver Linings Playbook (David O. Russell, 2012). On part de loin pour à la fin ne faire qu’un.
Une histoire d’amour qui se déroule à merveille présente trop peu d’intérêts en termes de ressorts scénaristiques. Dans Bonjour tristesse de Françoise Sagan, publié en 1954, et adapté sur grand écran par Otto Preminger en 1958, Cécile déclare : «Je connaissais peu de choses de l’amour : des rendez-vous, des baisers et des lassitudes». Pour faire écho à cette phrase, tout ce qui constitue le moteur narratif, c’est l’avant, guidé par le fantasme et l’idéalisme, voire la séduction.
Autrement dit, pour utiliser encore une expression contemporaine, «la meilleure version de soi», ou alors les souvenirs filtrés par la nostalgie. Si Love (Gaspar Noé, 2015) enchaîne les réminiscences d’une passion ardente hélas réduite en cendres, La Vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, 2013) décortique chaque étape de l’amour sur un mode linéaire : le désir, la rencontre, la séduction, la découverte de l’autre, l’amour physique, la vie à deux, les disputes, la rupture. Résultat : il n’y a ici rien à voir avec les contes de fée, le film reprend plutôt l’axiome de Louis Aragon, «il n’y a pas d’amour heureux». Il faut retirer le «com» de «romcom». Et repenser au fait que La divina commedia (Dante, 1303-1321), malgré son titre, est une tragédie.
Le «syndrome Bridget Jones»
La vie de Bridget Jones aussi est, quelque part, tragique, du moins mouvementée, pour ne pas dire chaotique. Alors ses aventures peuvent se décliner à l’infini – ici les aventures au sens de péripéties mais aussi d’histoires, avec les hommes. Car avec Bridget Jones, depuis le départ, ce n’est pas une histoire, ce sont des histoires. Dans une «romcom», si l’on fait l’analogie directe avec le mariage, il y a cette idée de l’union jusqu’à la mort, alors que Bridget représente l’éternelle célibataire. Elle est en phase avec son époque qui est aussi la nôtre : ses questions existentielles peuvent faire l’effet d’un reflet dans le miroir plus ou moins disgracieux, le tout néanmoins contrebalancé de façon élégante par l’humour «british».
Au niveau du reflet, pour le moins «cool», toute une génération de trentenaires a été rassurée grâce à High Fidelity (1995), autre roman anglais des «nineties», signé Nick Hornby, et adapté au cinéma par Stephen Frears en 2000. Bridget Jones, elle, a de quoi apaiser les célibataires; il vaut mieux en rire plutôt qu’en pleurer. Ajoutons à cela qu’elle n’est pas le stéréotype de la femme d’une «romcom», reine idéalisée à laquelle il ne peut qu’être agréable de s’identifier. Non, là il s’agit d’un personnage rongé par ses névroses, encombré de maladresses; de même que si on l’a vue un peu trop picoler, on la voit, c’est inévitable, prendre de la bouteille.
Mais c’est bien son côté pataud qui la rend attendrissante – humaine. Et puis, si elle est une femme qui a la hantise d’être seule, vu le succès de la franchise, elle a pléthore d’amis : les spectateurs. À ce propos, l’ «anuptaphobie» désigne la peur d’être un adulte célibataire. On appelle aussi cette phobie le «syndrome Bridget Jones». Comme quoi la société s’inspire également des «romcoms».
Bridget Jones : Mad About the Boy, de Michael Morris. Sur les écrans.