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[Cinéma] Bi Gan, prêtre d’un siècle de cinéma


Du muet au polar, en passant par le film de vampire, Resurrection plonge dans les entrailles du 7e art et dessine d'un trait l'histoire du XXe siècle. (Photo : les films du losange)

Avec Resurrection, l’ultracréatif réalisateur chinois raconte le siècle dernier à travers un voyage dans la fantastique imagerie du 7e art depuis ses origines. Haut perché.

Considéré comme un jeune prodige du cinéma chinois, le réalisateur Bi Gan, 35 ans, dévoile son nouveau film, Resurrection, un hommage quasi religieux à un siècle de cinéma. Ce long métrage poétique et sensoriel de 2 h 35, en compétition à Cannes en mai dernier d’où il est reparti avec le Prix spécial du Jury, fourmille de trouvailles esthétiques et de plans-séquences. Il est constitué de segments qui renvoient à l’histoire du cinéma au XXe siècle, des frères Lumière et Georges Méliès jusqu’aux films de mafia en passant par Frankenstein et la science-fiction. Une riche histoire dont il semble prononcer l’oraison funèbre.

Ces segments, sans lien évident entre eux, n’ont en commun que leurs acteurs, Jackson Yee et Shu Qi. Et une certaine nostalgie du siècle passé, avant le déferlement des technologies numériques, des plateformes et des réseaux sociaux. «C’est un film très subjectif. J’ai travaillé en partant de mes sentiments, de mes impressions. Le personnage principal est une créature qui traverse cent ans d’histoire en flottant», a expliqué le réalisateur, dont le film, saturé d’informations et de détails, a dû être soumis aux exigences de la censure chinoise, peu accommodante avec le cinéma d’auteur et les films indépendants.

«L’être humain n’est pas un robot»

Livré seulement deux jours avant sa projection sur la Croisette, il s’impose comme un hommage à l’ancienne, sans effets numériques tape-à-l’œil, à un septième art qui ne cesse de s’interroger sur son futur. «L’être humain est toujours en quête de récits. Reste à savoir à l’avenir sous quelle forme ils se feront…», poursuit Bi Gan. Les pessimistes ont «tendance à faire une erreur, qui est d’oublier que l’être humain n’est pas un robot. Il ne peut pas tout faire par l’informatique. Il est essentiel pour moi, dans la création, de ne pas faire appel aux technologies modernes, que le traitement soit traditionnel, même pour les scènes de science-fiction.»

Ma manière de raconter une histoire est un peu… particulière

Issu de la minorité ethnique des Miao, venu de la province montagneuse du Guizhou (sud du pays) et ayant grandi à l’écart de la modernité, Bi Gan est diplômé d’une modeste école de télévision. Il avait emballé la critique à seulement 26 ans et dès son premier film, une méditation onirique sur sa terre natale (Kaili Blues, 2015). Il a ensuite présenté le deuxième, Long Day’s Journey Into Night, en 2018, toujours à Cannes, dans la section Un certain regard. Il n’avait plus produit de long-métrage depuis sept ans, jusqu’à écrire une nouvelle histoire s’inscrivant «dans une perspective séculaire». Comprendre faire vivre «au public un siècle entier en deux heures et demie, comme s’il était un monstre cinématographique».

Un «ovni d’une grande invention»

À l’écran, cela se matérialise par une traversée de cinq histoires, presque indépendantes les unes des autres, avec comme fil rouge le 7e art. Un voyage à la puissance d’évocation sidérante, poétique et, par ruissellement, émotionnel. Explications : «J’ai souvent dit que faire un film, c’est comme construire une maison. Mais j’ai réalisé qu’il existait une différence cruciale. En architecture, l’œuvre est achevée quand la structure est debout. Au cinéma, ce n’est que lorsque quelqu’un entre dans cette « maison » que l’œuvre commence à exister. Le vrai film, c’est l’inconnu qui y dormira une nuit et repartira au matin en murmurant : « J’ai rêvé de quelque chose cette nuit. »»

Présenté comme un «ovni d’une grande invention» et encensé par la présidente du jury cannois, Juliette Binoche, le film est par contre totalement hermétique et prétentieux pour d’autres. Ceux-là pourront fermer les yeux pour se laisser bercer par la bande-son, signée du duo électro français M83. Bien que Bi Gan tempère : «Les gens qui connaissent peu mon travail imaginent que je privilégie la forme, la création visuelle… En réalité, ce qui m’intéresse le plus, c’est comment raconter une histoire. Simplement, ma manière de la raconter est chaque fois un peu… particulière.»

Resurrection, de Bi Gan.

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