En salle ce mercredi, Icare, premier long métrage du cinéaste d’animation luxembourgeois Carlo Vogele, réinvente un épisode célèbre de la mythologie grecque pour livrer une superbe fable sur l’amitié, la famille et le désir d’émancipation.
C’est un fait connu dans le monde du film d’animation : réaliser un long métrage est une entreprise qui prend du temps. Carlo Vogele en sait quelque chose, lui qui a rejoint les rangs de l’armée Pixar huit années durant, ayant notamment travaillé comme animateur sur Toy Story 3 (Lee Unkrich, 2010) ou Brave (Mark Andrews, Brenda Chapman & Steve Purcell, 2012). Si le mastodonte de l’animation a «tous les luxes, y compris celui du temps», nous dit-il, se lancer dans la réalisation d’un film en indépendant est «complètement différent, ça n’a rien à voir».
Mais le réalisateur luxembourgeois n’en révèle pas moins un talent éblouissant avec Icare, son premier long métrage, coproduit au Grand-Duché par la société de Nicolas Steil, Iris Productions. Le film adapte le fameux mythe du fils de l’inventeur Dédale, dont on sait au final bien peu de choses, sinon qu’il s’est brûlé les ailes à trop vouloir s’approcher du soleil. Carlo Vogele réinvente son destin, qu’il mélange à d’autres mythes, dont celui du Minotaure, pour en livrer une nouvelle interprétation, plus personnelle.
Dès l’âge de 6 ou 7 ans, ils sont familiers avec la mythologie
«Je connaissais bien ces histoires, ma mère me les a souvent racontées», confie le réalisateur passionné par la mythologie grecque. «J’ai replongé dedans il y a six ans, après un voyage en Crète. Le fait de voyager là-bas et d’y retrouver ces histoires m’a donné envie de les raconter en animation.» L’avantage, c’est que les mythes en question sont connus de tous, y compris des enfants, qui sont le public privilégié de son film. «Il y a un vrai engouement de leur part. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, ils sont familiers avec la mythologie. C’est génial», dit-il, ravi d’avoir rencontré le jeune public lors des différentes avant-premières ou à l’occasion de festivals, comme au dernier LuxFilmFest, où Carlo Vogele était venu présenter le long métrage.
Mais le voyage à Cnossos a fait naître un autre déclic chez le réalisateur, celui de pouvoir s’aventurer dans une recherche esthétique peu courante. «Les fresques de la civilisation minoenne, qui ont plus de 4 000 ans, sont plus archaïques que celles de l’époque classique de la Grèce antique, et pourtant, elles sont très colorées, avec des personnages longilignes, à la peau très rouge… C’est étrange, mais très élégant.» L’impulsion était donnée.
Dans son travail d’écriture, en collaboration avec Isabelle Andrivet, «une amie de longue date», Carlo Vogele dit avoir vécu une expérience difficile, mais paradoxalement naturelle. Les deux écrivaient pour la première fois un long métrage et «il a fallu un long dîner pour convaincre Nicolas Steil», s’amuse-t-il aujourd’hui. Très tôt, l’idée de modifier les mythes, de les associer entre eux, s’est imposée.
En particulier, l’envie de faire naître une amitié entre Icare et le Minotaure. «Au début, Icare a dix ans, il rencontre ce petit garçon à tête de taureau, que l’on cache parce qu’il est monstrueux (…) On savait qu’on n’allait pas montrer le Minotaure comme une bête sanguinaire, mais plutôt comme une victime de sa monstruosité.» L’ami d’Icare, qui se révèle être un oracle, rappelle d’ailleurs souvent à Icare son destin.
Icare, à mon sens, est un idéaliste (…) C’est l’archétype du rêveur, attiré par la beauté et la grandeur
Mais selon Carlo Vogele, le mythe d’Icare est mal compris. Lui dit ne pas être intéressé par le récit d’un jeune homme que l’on présente habituellement comme victime de sa propre prétention. «Idéologiquement, je n’adhère pas du tout», lance le cinéaste. «Icare, à mon sens, est un idéaliste. D’ailleurs, quand on regarde les peintures du XIXe siècle qui le représentent, il est célébré sous un jour romantique. C’est l’archétype du rêveur, attiré par la beauté et la grandeur.»
Le réalisateur tisse aussi la relation tumultueuse entre Icare et son père, le «génial et important» Dédale. Icare vit dans son ombre et «il déchante lorsqu’il découvre la réalité égoïste et violente des adultes». Voler de ses propres ailes, quitte à se les brûler, c’est pour Carlo Vogele l’expression d’une volonté de s’émanciper, sans concession, de cette vie sombre.
On pourrait tracer le parallèle entre sa propre interprétation du mythe et son départ des studios Pixar pour s’affirmer en tant que réalisateur indépendant. Carlo Vogele sourit, avant d’admettre, avec un sourire, qu’«il y a un lien un peu grossier» entre ces deux destins. Mais l’indépendance, et tout ce qu’elle requiert, semble bien lui aller : «Nous sommes allés nous-mêmes chercher des artistes hors studios, un par un, sur les conseils d’amis et d’artistes.
Avec 50 artistes derrière le film, on a dû faire beaucoup de compromis, mais je suis assez heureux et fier de ce qu’on a accompli.» Loin de l’esthétique très sophistiquée des studios Pixar, Icare mélange animation 3D et décors en 2D, pour un aspect proche de l’illustration ou de la bande dessinée. Plus encore que les contraintes de temps et de budget, c’est une esthétique qu’il défend depuis le début du projet, pour affirmer ce très beau film comme le sien. Ce qui ne l’empêche pas d’espérer, pour le prochain, avoir «plus de temps et plus d’argent»…