« The Zone of Interest » montre la banalisation de l’horreur à travers le portrait d’un officier nazi et de sa famille goûtant aux plaisirs de la vie dans leur maison à côté d’Auschwitz.
La «zone d’intérêt», c’est l’appellation utilisée par les nazis pour décrire la zone de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d’Auschwitz. S’inspirant du roman du même nom de Martin Amis, le réalisateur britannique Jonathan Glazer multiplie dans The Zone of Interest les scènes dépeignant la vie quasi ordinaire de Rudolf et Hedwig Höss, dans leur volonté de construire une vie de rêve dans leur maison, dotée d’un jardin fleuri et d’une piscine. Et, aussi, d’un mur qui sépare ce cadre idyllique du plus célèbre camp de la mort.
Loin des films sur l’Holocauste se concentrant sur des actes héroïques ou de survie dans les camps, celui-ci tranche par sa froideur et s’attache à montrer la banalité du mal, avec des personnages impassibles face à une souffrance omniprésente. Tout est deviné, rien n’est montré, sauf la fumée qui se dégage des chambres à gaz.
Pour le réalisateur, absent des écrans depuis son film de science-fiction minimaliste et philosophique Under the Skin (2013), l’horreur de la Shoah tient au fait qu’elle a été perpétrée «non pas par des monstres, mais par des gens comme les autres».
Ils aiment «avoir une jolie maison, un joli jardin, des enfants en bonne santé, de l’air frais», a poursuivi Jonathan Glazer, qui s’est documenté sur la manière de vivre des SS qui régissaient les camps, sur leurs habitudes, pour «comprendre» l’incompréhensible.
«La coexistence de deux extrêmes»
Le cinéaste, qui a «grandi dans une famille juive», a «toujours pensé qu’arriverait un moment dans (sa) vie où (il s’attaquerait) à ce sujet». C’est la découverte du roman de Martin Amis, publié quelques mois après la sortie de Under the Skin, qui a agi sur le réalisateur britannique comme un «catalyseur».
Après deux ans de recherches rigoureuses, menées avec l’aide du Mémorial d’Auschwitz-Birkenau, Glazer a trouvé son «point d’entrée» au film : le mur, symbole du «cloisonnement de leur vie et de l’horreur dont ils sont les voisins».
Traduction à l’écran, le cinéaste présente le décor en filmant simultanément plusieurs lieux, comme en caméra cachée, posant un regard quasi anthropologique sur son sujet : «J’ai régulièrement utilisé l’expression « Big Brother chez les nazis » (…). L’idée était d’observer des gens dans leur vie quotidienne. Je voulais capturer le contraste entre quelqu’un qui se sert une tasse de café dans sa cuisine et quelqu’un en train d’être assassiné de l’autre côté du mur, la coexistence de ces deux extrêmes.»
Rudolf Höss a dirigé le camp d’Auschwitz pendant plus de trois ans et a pris l’initiative d’en augmenter les capacités exterminatrices – un moment décisif encore mis en scène de façon banale, sous la forme d’une simple réunion de travail. Aux côtés de l’acteur Christian Friedel, Hedwig Höss est jouée par Sandra Hüller, l’actrice allemande en tête d’affiche d’Anatomie d’une chute, vainqueur de la dernière Palme d’or du festival de Cannes; au même palmarès, The Zone of Interest a pour sa part reçu le Prix du jury et le Prix Fipresci de la critique internationale.
Lueur d’humanité
Pour Sandra Hüller, indéchiffrable et intense dans le rôle de la «reine d’Auschwitz», c’est «la personne même» de Jonathan Glazer qui l’a convaincue d’accepter ce rôle périlleux, «sa vulnérabilité, ses doutes et le fait qu’il ne veuille pas faire un film sur l’Holocauste comme d’autres ont pu le faire». Et, surtout, «de nous prendre, nous, acteurs allemands, dans cette situation», dans l’objectif de «montrer un mécanisme, comment les gens agissent». Car l’actrice s’était «promis que jamais, jamais (elle) ne jouerai(t) une nazie».
«Je ne dis jamais que le film que je fais est important mais, là, c’est le cas. Oui, c’est important de montrer que l’extrême droite, qui est un fascisme, conduit de toute façon à la violence. On ne peut pas mettre en place ce système sans faire du mal aux gens. C’est totalement lié à la violence, quoi qu’ils en disent. Même si les gens veulent juste leur petit jardin et vivre leur belle vie, ce n’est pas possible sans faire du mal aux autres.»
Dénué d’horreur frontale, mais profondément dérangeant, le film montre, à l’intérieur du domaine des Höss, des servantes allemandes portant des vêtements spoliés, tandis que les enfants du commandant examinent des dents en or. Une jeune femme polonaise, employée de maison, n’est pas jugée digne d’attention; quand on lui parle, c’est pour lui expliquer que, bientôt, ses cendres seront «jetées dans la rivière» à proximité.
C’est ce dernier personnage qui incarnera la seule lueur d’humanité du film, lorsqu’on la voit semer, chaque nuit, de la nourriture pour les détenus. Jonathan Glazer s’est inspiré d’une femme de 90 ans qu’il a rencontrée et qui avait fait la même chose.
The Zone of Interest, de Jonathan Glazer.