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[Cinéma] Au cœur d’une affaire d’État


La Syndicaliste raconte l'histoire vraie de Maureen Kearney, une syndicaliste de la CFDT, incarnée à l’écran par Isabelle Huppert.

Isabelle Huppert met son talent au service d’un thriller politique sur le nucléaire français. Une histoire vraie racontée sans filtre par Jean-Paul Salomé, aux échos toujours sensibles.

Isabelle Huppert met son talent au service de La Syndicaliste, sur le combat d’une représentante CFDT chez Areva, qui a dénoncé son viol et son agression chez elle en 2012 sur fond de contrats à fort enjeu politique avec la Chine. Le film revient sur une affaire qui a éclaboussé le nucléaire français, sans cacher les véritables noms de la plupart des protagonistes, comme le colérique Luc Oursel (propulsé en 2011 dirigeant d’Areva, l’ancêtre d’Orano, par Nicolas Sarkozy et décédé depuis) ou Anne Lauvergeon, son prédécesseur, interprétés respectivement par Yvan Attal et Marina Foïs.

Il raconte, en adoptant son point de vue, le calvaire de Maureen Kearney, ex-syndicaliste de l’ancien fleuron du nucléaire français, convaincue d’avoir été victime d’une vengeance liée à son engagement syndical. Un temps accusée d’avoir mis en scène sa propre agression, elle a été relaxée en novembre 2018 en appel des accusations de dénonciation mensongère à son encontre.

Le film est adapté d’un livre-enquête de la journaliste de L’Obs Caroline Michel-Aguirre. «Je me suis dit tout de suite qu’il fallait faire connaître cette histoire davantage», a expliqué Jean-Paul Salomé, le réalisateur : «Il y avait là les germes d’un thriller, malheureusement extrêmement prenant et d’une force incroyable». «Ça brasse beaucoup de choses d’aujourd’hui : le scandale industriel, les persécutions qu’elle a subies, le fait que sa parole ait été remise en cause» en tant que lanceuse d’alerte, a-t-il ajouté.

«Risques assumés»

Le film a été tourné avec l’accord et la coopération de Maureen Kearney, désireuse de faire connaître son calvaire après avoir été relaxée. «À partir du moment où elle allait être remise en lumière et que ça pouvait être douloureux pour elle, il n’y avait aucune raison de ne pas mettre les noms des autres sous prétexte que ça n’allait pas plaire à certains. Je le lui devais», poursuit le réalisateur, souhaitant «assumer les risques» juridiques.

«On n’a pas eu de pressions directes mais, par contre, la journaliste a de nouveau reçu des coups de fil anonymes par rapport au fait que le film allait sortir et il n’a pas toujours été facile à financer», relate Jean-Paul Salomé à propos de ce sujet sensible et de la «frilosité» de certains de ses argentiers habituels, le conduisant à chercher des fonds en Allemagne notamment.

Quant aux scènes dans des centrales, «on n’a même pas imaginé demander à EDF! On a tourné dans des centrales à charbon en Allemagne qu’on a ensuite trafiquées en numérique!». La Syndicaliste est un film politique comme il en sort peu sur les écrans français, faisant penser à du Costa-Gavras ou à des films américains, de The Conversation de Coppola à Darkwaters ou encore Spotlight. «C’était un défi de remettre à l’honneur ce style de cinéma qu’est le thriller politique», ajoute le réalisateur.

Huppert sur un fil

Dans la peau de Maureen Kearney, un personnage qui garde ses zones d’ombre à l’écran, Jean-Paul Salomé a choisi Isabelle Huppert, qu’il venait de faire tourner dans La Daronne : «C’est aussi une manière de rendre le film incontournable et difficilement attaquable». L’actrice marche sur un fil, faisant parfois à dessein s’interroger sur l’innocence de son personnage – sur laquelle le réalisateur «n’a aucun doute».

 «À force de fréquenter toutes ces sphères, elle a fini par croire qu’elle en faisait partie. Elle a été punie de manière atroce parce que c’était une femme et qu’elle ne venait pas de ce milieu-là», analyse-t-il. La véritable Maureen Kearney s’était farouchement opposée à un accord entre Areva, EDF et l’opérateur nucléaire chinois CGNPC permettant des transferts de technologie en vue du développement d’un nouveau réacteur chinois.

Elle jugeait cet accord dangereux, compte tenu de la sensibilité des informations transmises qui, selon elle, mettaient en péril le maintien de l’emploi sur le territoire français. Aucune trace, hormis celles de Maureen Kearney, son mari ou leur femme de ménage, n’a été retrouvé sur la scène du crime et ses agresseurs n’ont jamais été retrouvés. La justice s’est retournée contre elle, après qu’elle a indiqué avoir tout inventé pendant l’enquête avant de se rétracter un mois plus tard, assurant avoir été victime de pressions en garde à vue.

La Syndicaliste,  de Jean-Paul Salomé.

On n’a même pas imaginé demander à EDF!