Accueil | Culture | [Cinéma] À Berlin, tapis rouge et tensions politiques

[Cinéma] À Berlin, tapis rouge et tensions politiques


Premier rendez-vous majeur du cinéma mondial de l'année, la Berlinale, qui programme beaucoup de films d'auteur au public confidentiel, est en perte de vitesse. (Photo : afp)

De Jessica Chastain à Robert Pattinson, la Berlinale convoque les stars pour une 75e édition qui se tient dans un contexte politique inflammable en Allemagne et dans le monde.

Le festival international du Film de Berlin, qui s’est toujours vu comme un évènement progressiste et une chambre d’écho des enjeux politiques du moment, décernera son Ours d’or le 22 février, veille des élections législatives anticipées en Allemagne. Les derniers jours d’une campagne tendue et la perspective d’un score historique de l’extrême droite font monter la pression sur le tapis rouge, où les déclarations de cinéastes ou de stars, allemands surtout, seront scrutées. L’an dernier, une polémique avait éclaté autour de l’invitation ou non d’élus du parti d’extrême droite AfD.

La politique «est dans l’ADN de la ville et du festival lui-même», qui est là «pour connecter les gens», a déclaré la nouvelle directrice du festival, Tricia Tuttle (photo), qui espère tout de même que «le public pourra parler des films en eux-mêmes». La question de l’immigration s’invite dès le film d’ouverture, jeudi, The Light, dans lequel le réalisateur Tom Tykwer (Lola rennt, en 1998) se penche sur l’arrivée d’une Syrienne comme gouvernante dans une famille allemande.

L’an dernier, lors de la remise des prix, plusieurs cinéastes avaient critiqué l’offensive israélienne à Gaza, qui a fait plus de 48 000 morts, en majorité des civils, selon les données du ministère de la Santé du Hamas, jugées fiables par l’ONU. Un porte-parole du gouvernement allemand avait jugé «inacceptable» que les cinéastes n’aient pas condamné à parts égales l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui a entraîné la mort de 1 210 personnes côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte basé sur des données officielles et incluant les otages annoncés comme morts.

Nouveau souffle

Selon Tricia Tuttle, la polémique a dissuadé certains réalisateurs de participer cette année. «De nombreux cinéastes de pays arabes nous ont aussi contactés au cours des dernières semaines, afin de s’assurer que le festival soit un espace de dialogue et de discours ouvert», a-t-elle indiqué. Cette année, le festival a notamment programmé un documentaire sur un acteur israélien otage dans la bande de Gaza, David Cunio. Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un documentaire revient également sur la création du film Shoah (1985) de Claude Lanzmann, qui sera lui-même projeté.

Premier rendez-vous majeur du cinéma mondial de l’année, la Berlinale, qui programme beaucoup de films d’auteur au public confidentiel, est en perte de vitesse face aux festivals de Venise ou de Cannes, qui attirent toute la lumière. Débauchée du festival du film de Londres, Tricia Tuttle a pour mission de lui donner un nouveau souffle. Timothée Chalamet est attendu pour présenter A Complete Unknown, le biopic évènement sur Bob Dylan, déjà sorti en salles dans de nombreux pays et attendu dans les cinémas luxembourgeois le 19 février.

Todd Haynes président du jury

Robert Pattinson fera le déplacement pour Mickey 17, qui marque le retour au cinéma de Bong Joon-ho, après sa Palme d’or et le triomphe aux Oscars de Parasite (2019). Le Sud-Coréen livre, hors compétition, une comédie de science-fiction qui résonne avec l’époque en tournant en dérision un milliardaire aux airs d’Elon Musk – par ailleurs soutien de l’AfD en Allemagne.

Parmi les autres stars, la magnétique Tilda Swinton viendra chercher un Ours d’or d’honneur pour sa carrière et devrait côtoyer Marion Cotillard, l’une des actrices françaises les plus connues dans le monde, ou la mégastar chinoise Fan Bingbing. Cette dernière fait partie, sous la direction du cinéaste Todd Haynes (Velvet Goldmine, I’m Not There, Dark Waters), du jury des longs métrages chargé de décerner l’Ours d’or, remporté l’an dernier par le documentaire Dahomey de la Franco-Sénégalaise Mati Diop.

Sont en compétition le réalisateur américain Richard Linklater (Blue Moon), le Sud-Coréen Hong Sang-soo (What Does That Nature Say to You), le Mexicain Michel Franco (Dreams) ou encore le Roumain Radu Jude (Kontinental ’25). L’émotion sera aussi au rendez-vous pour la projection de La Cache, adaptation du roman de Christophe Boltanski, sur une famille juive parisienne de l’Occupation à Mai 68. Le film, coproduit au Luxembourg (lire encadré), met en scène l’acteur français Michel Blanc, décédé en octobre 2024, dans son ultime rôle.

Année phare pour le Luxembourg

Quatre films coproduits au Grand-Duché sont sélectionnés en compétition officielle, tandis que deux autres longs métrages figurent respectivement dans les sections Panorama et Forum de la 75e édition de la Berlinale, qui débutera jeudi avec un gala d’ouverture présenté par l’actrice luxembourgeoise Désirée Nosbusch.

Dans le concours pour remporter l’Ours d’or, le film La Cache, réalisé par le cinéaste suisse Lionel Baier, est une coproduction entre la Suisse, la France et le Luxembourg (Red Lion). Adapté du roman autobiographique de Christophe Boltanski, le film marque le dernier rôle de l’acteur français Michel Blanc, décédé en octobre dernier à 72 ans. Radu Jude (Bad Luck Banging or Loony Porn, Ours d’or 2021) fera également son retour en compétition, toujours soutenu par le producteur luxembourgeois Paul Thiltges, avec Kontinental ’25 : un hommage au chef-d’œuvre du néoréalisme italien Europa ’51 (Roberto Rossellini, 1952), sur le ton acerbe qui est la marque de fabrique du réalisateur roumain.

Autre œuvre qui devrait avoir un fort résonnement politique, le documentaire Timestamp, de la réalisatrice ukrainienne Kateryna Gornostai, révèle l’impact de la guerre sur le quotidien des élèves et des enseignants d’un pays où maintenir les écoles ouvertes est un acte de résistance. Le film est coproduit par a_BAHN avec l’Ukraine, les Pays-Bas et la France. Pour la première fois à Berlin, le couple de cinéastes Hélène Cattet et Bruno Forzani poursuit avec Reflets dans un diamant mort son exploration formelle et philosophique autour de l’âge d’or du cinéma de série B européen. Dans cette coproduction entre la Belgique, l’Italie, la France et le Luxembourg (Les Films Fauves), on pourra voir l’actrice Sophie Mousel.

Cette dernière joue aussi l’un des rôles principaux du film Der Küss des Grashüpfers, d’Elmar Imanov et coproduit par Wady Films. Ce drame familial teinté de réalisme magique sera présenté dans la section parallèle Forum du festival, dédiée aux films d’essai, politiques et expérimentaux. Le film Confidente, du couple franco-turc Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti et coproduit au Luxembourg par Bidibul, sera pour sa part projeté dans la section Panorama, qui met en avant des films d’auteur internationaux.

Le ministre de la Culture, Eric Thill, participera à la Berlinale du 16 au 18 février pour soutenir les professionnels du cinéma luxembourgeois. Hélène Walland, productrice de Poulpe Bleu Production, représentera le pays à la 23e édition de Berlinale Talents, un programme de réseautage, d’ateliers et de discussions publiques réunissant environ 200 professionnels du cinéma mondial. De quoi mettre en lumière l’excellence artistique du Luxembourg et marquer un moment phare pour le rayonnement culturel du pays.