Il a attendu plus de vingt ans pour filmer le début de la lutte contre le sida, à travers le combat de l’association Act Up dont il fut membre. Avec « 120 battements par minute », en salles ce mercredi et Grand prix cette année à Cannes, Robin Campillo réalise un film bouleversant.
Là où de nombreux films sur l’épidémie qui a fait des ravages dans la communauté homosexuelle s’attardent sur des destins individuels (comme Philadelphia (1993) avec Tom Hanks), le réalisateur de 55 ans fait le pari du collectif et livre un grand film politique. « Au début de l’épidémie, les gens ont vécu dans leur coin. Avec Act Up, des malades ont voulu casser la malédiction intime pour rendre la maladie plus visible et mettre les politiques face à leurs responsabilités », avait-il confié en mai lors du festival de Cannes où le film était en compétition. Act Up, c’était « ne plus subir l’épidémie, en être aussi acteur », pour celui qui a été militant de l’association, connue pour ses slogans choc et ses opérations spectaculaires telles que les « die in », avec des participants s’allongeant par terre et faisant le mort.
De la mort, il est bien évidemment question dans le film, mais c’est surtout le combat contre l’indifférence, les laboratoires et la maladie qui passe au premier plan. « Le film ne donne pas de conseils mais rappelle juste ce rassemblement de gens contre cette épidémie qui ont construit une conscience et des luttes politiques », soulignait Robin Campillo, collaborateur de longue date de Laurent Cantet (Palme d’or 2008 avec Entre les murs).
De l’aventure Act Up, il a voulu restituer les opérations spectaculaires à coups de jets de poches de faux sang, les débats tendus pour décider des actions à mener, des positions à adopter et des avancées médicales… Il s’est d’ailleurs adjoint les services de Philippe Mangeot, ancien président d’Act Up de 1997 à 1999 pour écrire le scénario.
Mais le réalisateur des Revenants et d’ Eastern Boys montre aussi le sexe, l’amour, les gay pride et les soirées exutoires au son de la house music, qui donne son titre au film. « Une musique inquiète comme la maladie et l’époque », selon le réalisateur français. « Elle permet de se replonger dans les années 90 mais on ne cherche pas à faire film d’époque ». En plus de deux heures, 120 battements par minute montre un activisme mené avant les réseaux sociaux, mais ne verse ni dans la nostalgie, ni dans le documentaire, probablement car il fait la part belle à l’histoire d’amour entre Sean, séropositif, et Nathan, qui ne l’est pas. Révélations du film, Nahuel Pérez Biscayart et Arnaud Valois crèvent l’écran, aux côtés d’Adèle Haenel.
En lice pour la Palme d’or, le film a bouleversé la Croisette mais a dû se contenter du Grand prix. Il a en tout cas un fan de la première heure en la personne de Pedro Almodovar, président du jury cette année à Cannes. « J’ai adoré le film et je ne peux pas l’aimer plus. J’ai été très touché du début jusqu’à la fin », avait déclaré le réalisateur espagnol. « Cela dépasse le fait d’appartenir à la communauté LGBT, comme moi, ou non. C’était une injustice », avait-il dit à Cannes, la voix étranglée par l’émotion. « Campillo raconte l’histoire de vrais héros qui ont sauvé de nombreuses vies ».
Le Quotidien/AFP