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Christophe Chassol : «J’aurais très bien pu filmer d’en bas de chez moi!»


Christophe Chassol : «Peu importe l'endroit où l'on filme, en Inde ou à Paris : l'objectif est de faire partir les gens avec la musique, l'image qui happe, les suites d'accords et la transe qu'elles génèrent.» (photo Louis Canadas)

S’il a voyagé de La Nouvelle-Orléans aux Antilles, le musicien et compositeur français Christophe Chassol est surtout un alchimiste qui mélange images et sons tirés du réel. Une harmonisation du monde à vivre ce mardi soir à Neimënster.

L’inclassable pianiste parisien, âgéde 37 ans, cumule les mandats decompositeur, multi-instrumentiste,arrangeur, cinéaste et égalementchef d’orchestre. Son œuvre reflètece côté touche-à-tout, brouillant lesfrontières entre musique et film.

Après ses expériences Nola chérie (2011) et Indiamore (2013), qui sondaient respectivement les formes musicales des villes de La Nouvelle-Orléans, comme celles de Bénarès et Calcutta pour l’Inde, le musicien et compositeur français Christophe Chassol complète sa trilogie avec Big Sun , une visite aux Antilles dont il est originaire. Sa méthode? Il part en voyage, filme des images, enregistre des sons et, rentré à la maison, fait de ce matériau capturé un canevas sur lequel il compose ses morceaux. On appelle cela harmoniser le réel, avec ces sons, voix et rythmes de la rue. Lui nomme cela l’ultrascore. Le résultat est en tout cas surprenant, à travers cet équilibre sensible entre musique et film. Un objet atypique. Une expérience sensorielle aux airs d’electro-pop chaloupés. Entretien avec un artiste à la cool.

Le Quotidien : Il y a eu d’abord La Nouvelle-Orléans, puis l’Inde et maintenant les Antilles. Chez vous, est-ce que tout commence par un voyage?

Christophe Chassol : Non, pas forcément. Il s’avère que j’ai dû voyager pour raconter ce que j’avais envie de dire. Le pouvoir de la musique et sa relation avec les images restent mon sujet principal, savoir comment elles s’entremêlent et interagissent. Du coup, j’aurais très bien pu filmer d’en bas de chez moi!

Voyager n’est pas une contrainte, quand même?

Ah non, pas du tout. Partir en tournée, par exemple, avec des amis, est toujours un beau moment, tripant. Un peu comme quand, enfant, on part en colonie de vacances. Arriver à se perdre, à se laisser aller à la divague. Et puis acheter des magazines dans les aéroports (rire) .

Malgré tout, retourner sur les traces de vos ancêtres martiniquais, est-ce que ça vous a plus particulièrement touché, par rapport à vos précédentes expériences en Inde et à La Nouvelle-Orléans?

C’était une évidence que ce voyage allait être plus personnel, mais au final, j’ai pris de la distance avec tout cela et j’ai abordé cette escapade sans pathos. En Martinique, j’ai surtout cherché à révéler les choses positives, comme des souvenirs d’adolescence, des senteurs, des bruits, des gens… Il n’y avait pas, comme on dit, une envie d’aller à la quête de mes racines, avec des nappes de violons derrière… Je parle créole, j’écoute la musique de là-bas. Cette culture a toujours été là, en moi. Mais elle ne me constitue pas entièrement.

Une fois sur place, comme pour Big Sun , vous filmez et collectez une multitude de sons, autant d’éléments que vous apprivoisez par la suite. Durant cette étape, êtes-vous alors plutôt musicien ou documentariste?

Au moment du tournage, je suis en effet plutôt dans la peau d’un réalisateur qui vient chercher sa matière, en vue, ensuite, de devenir compositeur. Au mieux, j’emporte avec moi une flûte, ou un petit clavier, mais c’est tout. Après, je vais à la rencontre des gens, en mode maïeutique, comme un journaliste qui essayerait de leur faire accoucher des choses intimes, et qui m’intéressent, bien sûr.

Et que faites-vous ensuite de tous ces rushs?

D’abord, il est important de savoir ce que l’on veut dire… Ensuite, je trie cette matière brute, sélectionne les séquences que je trouve intéressantes, et je commence alors à « mélodifier » les images, mettre des accords dessus et je construis ainsi un puzzle, qui va s’enrichir en studio, où j’orchestre l’ensemble.

Cette harmonisation du réel, vous la définissez comme de l’ultrascore. Pouvez-vous le définir?

L’ultrascore, c’est l’idée d’une partition ultime : celle qui se sert du son même des images pour en faire une musique de film. Ainsi, cette dernière n’est ni psychologisante ni très littérale, mimant chaque action. C’est la musique qui se sert d’éléments sonores de ces images.

Chez vous, film et musique ne se dissocient pas. Peut-on dire que Chassol s’écoute avec les yeux, et se regarde avec les oreilles?

C’est le but! Que le spectateur ne sache pas d’où je suis parti – si j’ai commencé par la musique ou par les images – même si le processus n’est pas très compliqué à saisir. J’essaye de mettre sur pied une sorte de boule, où tout est indissociable. Mais je suis assez content qu’on puisse écouter le disque Big Sun tout seul.

Oui, et c’est une sacrée gageure…

Au niveau du son, tout reste intéressant. On écoute bien des reportages radiophoniques, et cela nous divertit. La musique n’est que des bruits et des sons organisés par l’homme. Et ce n’est pas quelque chose de très difficile à suivre…

Peut-on dire que votre travail se rapproche de l’art contemporain, voire de la musique conceptuelle?

Je fais un peu attention avec les termes. Disons que, plutôt que de parler d’art contemporain, je dirais qu’il y a une recherche plastique au cœur de mon travail…

… et d’intellectualisation.

Mais qu’est-ce qui n’est pas intellectualisé? Pour moi, le moindre morceau dégueulasse d’eurodance de David Guetta l’est. C’est juste vouloir donner une forme à un objet, musical en l’occurrence. On est postmoderne depuis longtemps. Marcel Duchamp, ça ne date pas d’hier!

Oui, mais vous allez tout de même en profondeur dans le processus d’expérimentation…

D’accord. Dans le champ musical, c’est vrai que l’on reste très terre à terre. Ça se développe, certes, mais il n’y a pas grand-chose d’extra-musical. La musique reste de la musique. Dans ce sens, je me rapproche plus de l’art contemporain, car les artistes s’approprient différents médiums, de la danse à la sculpture, pour en faire une œuvre. Jongler avec le son, les images et même la littérature est quelque chose qui me plaît!

Finalement, c’est sur scène que musique et film se rejoignent. Votre travail prend alors une dimension encore plus riche…

J’adore le « live », notamment depuis le second album, Indiamore , car je comprends mieux le processus et sa traduction sur scène. Maintenant, j’anticipe et il m’arrive de penser, bien en amont, au concert et à sa gestion, comme pour Big Sun .

Entre ces multiples fonctions, on en oublierait presque que vous êtres pianiste de formation…

Eh oui, je joue quand même (rire) . En plus, ça me fait travailler mon instrument. Car, c’est un fait, je pourrais être plus exigeant avec mon jeu, car je vis un peu sur mes acquis. C’est toute une discipline et une rigueur que j’ai eues étant jeune. Quand je pense au concertiste, ça, c’est vraiment du sport!

Le but d’un concert, est-ce d’emmener le public en voyage dans l’atmosphère d’un pays et l’esprit de ses habitants?

Plutôt dans mon esprit, à travers mes filtres et ma façon de voir les choses. Peu importe l’endroit où l’on filme, en Inde ou à Paris : l’objectif est de faire partir les gens avec la musique, l’image qui happe, les suites d’accords et la transe qu’elle génère.

Quelle sera votre prochaine destination? À la boulangerie du coin?

(Il rigole) Peut-être pas, mais c’est vrai, pas loin de chez moi. Sûrement que je vais suivre aussi les gens plus longtemps, dans un esprit encore plus proche du documentaire.

Vous faites partie du projet et documentaire Soundhunters , de la cinéaste luxembourgeoise Beryl Koltz (voir notre édition du 10 juillet) . Qu’en pensez-vous?

C’est super! Ça va dans le sens d’une pédagogie, d’une démocratisation intéressante. Que les gens puissent s’approprier des choses et aient des clés pour comprendre le monde qui les entoure me plaît.

Grégory Cimatti

Neimënster (parvis) – Luxembourg. Ce mardi 14 juillet à 20h30 (ouverture des portes).

Dans le cadre du festival OMNI. Le concert sera précédé de la projection du documentaire réalisé par Beryl Koltz qui a choisi Christophe Chassol et sept autres musiciens, dont Jean-Michel Jarre, pour Soundhunters .