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Christiaan van Heijst : pilote cargo, en mode vol de nuit


Approche de Londres pour un atterrissage en nocturne. (Photo / jpcvanheijst)

Les compagnies aériennes voient leurs avions cloués au sol. Dans les airs, la voie est libre, et les pilotes cargo comme le néerlandais Christiaan van Heijst, volent dans un ciel quasiment vide. Ils entretiennent les lignes de vies entre nos cités, nos pays et les différents continents. Rencontre avec ce pilote photographe suivi par plus de 100 000 personnes sur les réseaux sociaux.

La passion de Christiaan van Heijst, 36 ans, c’est de voler, et depuis ses 28 ans il vit son rêve : piloter des 747. Il a obtenu son premier brevet pilote avant même son permis de conduire. Après quelques années passées au Luxembourg, il vole aujourd’hui pour la compagnie belge ACE Belgium Freighters. «Actuellement nous assurons beaucoup de liaisons avec Israël et des villes en Europe et aux États-Unis.» Alors que les compagnies aériennes ont suspendu la quasi-totalité de leurs vols passagers commerciaux, les liaisons cargos prennent une dimension essentielle, voire vitale, transportant vivres et médicaments aux quatre coins du globe. «Il ne reste que quelques vols passagers actifs, pour préserver les lignes, mais ils doivent quasiment voler à vide», constate Christiaan van Heijst.

Pour le cargo c’est une autre histoire, les charges sont pleines et les rythmes redoublent d’intensité : «De nombreux collègues pilotes de cargo sont extrêmement motivés actuellement, nous sommes conscients que nous acheminons du fret indispensable à la lutte contre la crise sanitaire vers des destinations qui sont dans le besoin. J’ai des contacts très étroits avec de nombreux pilotes cargo, de compagnies différentes à travers le monde, et tous sont prêts à travailler et à s’engager à fond, à accepter cette charge, et cette responsabilité qui pèsent sur nos épaules. C’est le moment pour nous de faire la différence.» Entre deux vols, on se tient au courant des dernières nouvelles : «On parle plus souvent de nos familles respectives que d’habitude, on s’inquiète pour ceux qui ont des proches à Milan ou New York», confie Christiaan van Heijst.

 

Sous le ciel étoilé de la nuit, des éclaires illuminent un ciel d'orage survolé par le 747. (Photo/ jcpvanheijst)

Sous le ciel étoilé, des éclairs illuminent les nuages d’un orage survolé par le 747. (Photo/ jpcvanheijst)

 

Christiaan est suivi par un peu plus de 12 ooo personnes sur son compte Facebook et quelque 103 000 sur Instagram où il publie ses photographies époustouflantes reflétant ses impressions de vols. «Je reçois actuellement un écho très positif à mes posts. Les gens trouvent du bonheur à voir ses impressions de vols qui reflètent la beauté et la sérénité du monde vue d’en haut, vu du ciel où le virus n’a pas de prise. S’il y a peut-être une chose positive que peut nous apporter cette pandémie, c’est de mieux savoir apprécier la beauté du monde, et de comprendre que tout ne nous est pas dû.» C’est aussi ce qu’exprime un de ses posts, au-dessus de la Nouvelle Écosse, en vol de nuit avec la lune comme accompagnatrice : «Nous laissons l’Amérique du Nord derrière nous, direction le bleu profond de l’Atlantique. Aucun autre vol en vue et la radio est silencieuse. Rien que les nuages, l’océan et mon île dans les airs. Elle se lève indifférente aux peines des humains sur sa planète mère. Elle va m’accompagner cette nuit au-dessus des océans vides et bientôt le monde sera baigné de ses délicats reflets argentées.» La plupart du temps il est seul dans les airs, parfois un autre avion-cargo vole aux environs, à quelques heures de distance, alors qu’en temps normal le trafic forme parfois des longues files d’avions qui se croisent ou se suivent.

Christiaan van Heijst photographie depuis qu’il est pilote, et ses travaux sont souvent reproduits dans des magazines et médias internationaux : le Hollandais volant à l’appareil photo a construit sa notoriété porté par une communauté d’amis et de followers sur les réseaux sociaux. Dans le ciel, il retrouve la solitude, le temps de réfléchir à ce qu’il voit et de suivre ses pensées : «Quand je survole l’Atlantique les nuits de pleine lune, je sens que je suis vraiment privilégié de pouvoir voir tout cela, c’est vraiment magique. Quand tu es pratiquement tout seul dans les airs, tu te sens dans la peau de ces pionniers de l’aviation, qui ont été les premiers à découvrir ce spectacle hallucinant, de voir les nuages et la terre d’en haut. Et on pense au milieu de cette immensité à tous ceux qui sont en train de lutter pour leur vie en bas.»

 

La voie lactée au-dessus des lumières des métropoles indiennes. (Photo / jpcvanheijst)

La voie lactée au-dessus des lumières des métropoles indiennes. (Photo / jpcvanheijst)

 

Une fois à terre, Christiaan van Heijst retrouve les conditions draconiennes de sécurité imposées par la gestion de la crise sanitaire du Covid-19, plus ou moins les mêmes partout où il se pose : «On essaye de limiter les contacts avec d’autres personnes au maximum pour éviter l’exposition au moindre risque, mais de toute façon tous les personnels avec lesquels nous entrons en contact sont protégés, que ce soient les techniciens ou les agents administratifs, les douaniers, tout le monde est équipé et porte masques, gants etc. On se voit brièvement et on échange quelques nouvelles et messages d’encouragements.»

Les pilotes sont conscients des risques qu’ils prennent et auxquels ils s’exposent. «Mais on sait pourquoi, et on voit comment les gens dans les aéroports s’investissent pour nous aussi, personne ne compte ses heures, tout le monde s’engage à fond», lâche Christiaan, alors lui et ses collègues mettent les bouchées doubles aussi et ne lâchent rien «et c’est comme ça partout où on va».

 

Escale au JFK New York. (Photo / jpcvanheijst)

Escale au JFK New York. (Photo / jpcvanheijst)

 

Au gré des escales Christiaan van Heijst rencontre partout les mêmes élans de solidarité mais aussi les mêmes incertitudes : «Combien de temps les mesures de confinement vont-elles durer ? Quel est le degré de contagion du virus ? Quelle est sa dangerosité ? Tout le monde se pose les mêmes questions partout, mais chez toutes les personnes que je rencontre, je vois aussi la prise de conscience de la gravité de la situation, nous avons conscience que nous sommes face à un problème vraiment sérieux, et que nous autres pilotes cargo avons un rôle vraiment important à jouer.»

Pour Christiaan van Heijst et ses collègues dans les airs et sur les pistes des aéroports sur lesquels ils déposent leur cargaison pour prendre ensuite leur prochaine livraison, la chaîne de la solidarité face au Covid-19 existe belle et bien : «Et quand je vois tous ses gens qui s’engagent pour qu’on puisse réussir nos missions, ça me réchauffe le cœur.»

 

Vu imprenable au-dessus d'une averse qui forme un arc-en-ciel au large de la Birmanie. (Photo / jpcvanheijst)

Vue imprenable sur une averse qui forme un arc-en-ciel au large de la Birmanie. (Photo / jpcvanheijst)

 

Il y a quelques jours encore Christiaan survolait New York, en plein confinement, à l’heure où la ville qui ne dort jamais comptait déjà plus de 106 000 cas confirmés et pleurait 6 100 morts, des chiffres qui ont continué d’évoluer depuis.

«Vu d’en haut tout à l’air presque comme toujours», écrit Christiaan van Heijst qui poursuit : «Une journée de printemps qui promet d’être belle, quelques ferries sillonnent le Hudson et quelques voitures isolées parcourent les rues d’habitude bondées. J’espère que cette ville pourra bientôt se retrouver comme elle est vraiment, cette atmosphère où tout semble possible au milieu de ces rues aux architectures époustouflantes avec tous ces gens formidables. Bonne chance à toi New York et à ses habitants, vous n’êtes pas seul, et le soleil brillera bientôt à nouveau.»

 

New York à l'heure du confinement un matin d'avril. (Photo / jpcvanheijst)

New York à l’heure du confinement un matin d’avril. (Photo / jpcvanheijst)

 

Chris Mathieu