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[Choix de la rédaction] 2020 : les vingt disques majeurs de l’année


Vous avez raté les meilleures trouvailles musicales de 2020 ? Pas de panique, le bureau culture du Quotidien est là ! (photo : DR).

Privée de concerts et de festivals depuis le printemps, l’année musicale s’est tout de même illustrée par une production riche et hétéroclite. Revue d’effectif pour vingt disques majeurs de 2020.

Rise / Black is Sault Genre neo-soul / funk / R'n'B / disco  Mais qui donc se cache derrière ce groupe anglais, cultivant le secret? Quelque 18 mois après son apparition, la réponse reste évasive. C’est que Sault laisse sa musique comme seul argument de séduction. Pour preuve, ces deux double albums sortis depuis juin, splendides. On aurait pu s'en tenir à Untitled (Black Is), collection d'irrésistibles pièces soul- funk, servies par des voix féminines vibrantes, osant emprunter certains chemins de traverse (hip-hop, post-punk). Untitled (Rise) enfonce le clou, confirmant l’attrait pour la basse qui caresse, le craquement du vinyle «vintage», les percussions en toile de fond et les chœurs haut perchés qui se croisent, encore et encore... Un tour de force de surcroit militant, intelligent et fédérateur. Malgré la richesse des propositions, les albums ne vacillent jamais. Oui, l’important est de se tenir debout.  The Night Chancers Baxter Dury Genre pop / rock  Longtemps, il a souffert du lourd héritage paternel. Un «fils de», comme on dit, en l'occurrence celui de Ian Dury, à qui l'on doit la paternité (encore une!) de la chanson Sex & Drugs & Rock & Roll (1977). Comme Luke Skywalker, Baxter Dury a réglé son complexe d'Œdipe après la disparition du père, début 2000, en s’inventant un univers bien à lui : celui d’un dandy cabossé aux chefs-d'œuvre de pop tordue. The Night Chancers le dessine, trait pour trait, avec ce «spoken word» fatigué, cet accent cockney, cette funk moite, ces envolées de violons, ces mélodies synthétiques, ces choeurs féminins qui le harcèlent… Dix chansons au charme vicieux et au glamour terne qui le rapproche d'une de ses idoles, Serge Gainsbourg, tout aussi soucieux, en son temps, du port du costume décontracté. Une nouvelle filiation de poids pour lui.  Houses Are Built the Same Cathedrale Genre post-punk / garage  À l’écoute de Cathedrale, l’auditeur aguerri saura vite reconnaître le ton et la saveur du post-punk venu d'outre-Manche, celui de Manchester ou de Dublin. Pourtant, c'est du côté du sud de la France et de Toulouse qu'il faut se tourner pour trouver l'origine de ces quatre garçons qui, après quelques essais lo-fi et garage, obscurcissent ici les guitares, alourdissent la basse et s'adonnent désormais au chant frontal. Une production «rentre-dedans», rappelant d'autres modèles du genre, américains ceux-là (Wire, Parquet Courts, Protomartyr...). C'est un fait, mais il faut faire preuve d'endurance pour suivre les treize chansons montées sur ressort de ce Houses Are Built the Same, mais rien de tel qu'un peu d'exercice en ces temps de confinement et de prise de poids. Une invitation aussi honnête ne se refuse pas. RTJ4 Run the Jewels Genre rap  L'Amérique est une terre de contrastes, capable d'entretenir un racisme systémique comme d'accoucher de belles histoires. C’est le cas avec Run the Jewels, deux visages qui, aujourd'hui, se croisent pour n'en dessiner qu'un : celui de George Floyd, Afro-Américain tué par un flic blanc. Au mouvement «Black Lives Matter», RTJ répond en offrant à l’agitation urbaine une bande-son appropriée. Au meilleur de leur forme, Killer Mike et El-P aiguisent leurs diatribes politiques et montent les watts. Indignés, ils racontent Wall Street et l’esclavage à grands coups de clameurs populaires et de beats assénés comme des coups de poing. Même Zach De La Rocha (Rage Against the Machine) s’est pris au jeu! Sans doute le meilleur disque du duo, qui arrive à point nommé pour soutenir l'entrain d'une Amérique révoltée. Fetch the Bolt Cutters Fiona Apple Genre pop-rock Depuis ses débuts, il a plus de deux décennies, Fiona Apple, 42 ans, a souvent dit tout haut ce qu'elle pensait tout bas. Un réflexe qui se manifeste à nouveau dans Fetch the Bolt Cutters, cinquième offrande née d’une envie d’en découdre avec les fantômes passés et présents. Elle y parle de la mort, des cicatrices qui restent à vif et surtout des abus masculins. Un cri expiatoire, probablement conforté par la vague #MeToo, qui s’entoure d’une voix tranchante, de choeurs, de bruits du quotidien, de percussions de fortune… En somme, la salve d'un esprit libre et d'un corps solaire qui clament, comme dans un mantra «Blast the music! Bang it, bite it, bruise it!» («Dynamitez la musique! Frappez-la, mordez-la, écrasez-la!»). Sa démonstration, tout en turbulences sonores maitrisées, en est follement réjouissante et cathartique.   Supa K: Heavy Tremors / II – The Next Wave Quakers Genre rap  Début septembre, Quakers rappelait au monde du hip-hop son existence, balançant Supa K: Heavy Tremors, soit une compilation de 50 instrumentaux de moins de deux minutes chacun. Court mais inventif, car ici, on ne plaisante pas! Derrière le projet, on trouve en effet trois aficionados – Geoff Barrow (ex-Portishead), l'ingénieur du son Stuart Matthews et le producteur Katalyst – unis par une même lassitude du rap contemporain. Comme en 2012, et un premier album de 41 chansons ramassées, il est question de célébrer le geste libre. Huit ans après, Quakers, avec The Next Wave, revisite encore le style «old school», ses samples et  scratchs à gogo, convoquant derrière le micro plus d’une trentaine de rappeurs (Guilty Simpson, Sampa the Great, Jonwayne...). La traversée de l’Histoire, elle, est toujours étourdissante.  Stray Bambara Genre post-punk  Le trio de Bambara, pourtant actif depuis 2012 au cœur de New York, sort là de l'ombre dans laquelle il aime pourtant se fondre, avec un magnifique quatrième album. Stray, pour son ambiance vénéneuse et électrique, sa classe crépusculaire à la Nick Cave, ses ballades d’inspiration gothique, ses airs assumés de film noir, laisse en effet une trace indélébile en cette année 2020. Plus mélodique que ces prédécesseurs, le disque ne prend pas pour autant le parti de la légèreté, avec cette obsession pour la mort, décliné en douze morceaux d’un rock sombre et galopant. Une grande oeuvre à voir comme un bijou de noirceur et d’introspection, garni de références littéraires, hanté par la nuit et ses fantômes, qui rappelle ceux d'Iceage, quatuor danois aux élans lui aussi glaçants. Brrrr… On en frisonne encore.   Græ Moses Sumney Genre soul / rock / expérimental

Né aux États-Unis de parents ghanéens, balloté entre les deux continents, Moses Sumney ne s'est jamais senti ni africain ni américain. Lui clame haut et fort l'importance de la forme multiple. Rien d'étonnant, que pour son second album, il ait choisi le titre grae, renvoyant à «grayness», la zone grise, cet entre-deux qui ne divise pas mais qui mélange. Un grand tout que l'artiste célèbre dans un disque remarquable, livré en deux parties (12 chansons sont sorties en février) et fort aujourd'hui de 20 titres. Dessus, de  sa voix détonnante, il passe de la colère à la tristesse, disparaît sous les chœurs, tient tête aux violons… Mieux, il surfe sur une palette de styles (trip-hop, jazz, soul, rock, pop, gospel…) et laisse de la place aux copains (Thundercat, Shabaka Hutchings, James Blake)… C’est ce qu’on appelle avoir le coeur sur la main.

 

Welcome to Bobby's Motel Pottery Genre free rock 

 

Sans le vouloir, Pottery était attendu au tournant. La faute à un EP, 

sobrement intitulé N°1, qui, en sept titres, attisait l’intérêt pour ce groupe de Montréal. Calée sur un ton propre à la déconne, la musique de ces Canadiens ne s'autorise aucune limite. Un free-rock qui prend les allures de joyeux foutoir captivant, comme le confirme ce Welcome to Bobby's Motel, dont le titre renvoie aux tournées interminables en van - il n’y en aura pas eu beaucoup cette année. Si l’énergie est plus contenue, ce qui frappe les esprits, ici, c’est justement cette liberté créative, et par extension, la ressemblance, prononcée, avec Talking Heads. Entre des références aux mythes américains (Hank Williams, Valerie Solanas…), Pottery rappelle qu’il aime New-York, le groove et les déhanchements élégants de David Byrne. Difficile de le contredire. Less Is Moor Zebra Katz Genre rap / electro / expérimental  En voilà une drôle de bête, étrange croisement entre l'équidé et le félin. Entre les deux, Zebra Katz ne veut pas choisir, lui qui a longtemps dû se battre contre les stigmatisations, raciales comme sexuelles. Son message est clair : brisons les carcans! Il martèle sa différence et sa liberté farouche dans un premier album décapant, dans lequel il sort l’artillerie lourde : sonorités industrielles, drum'n'bass et noise, qui s’assortissent bien à son flux soufflé et profond (à la Tricky). Des élans viscéraux à contre-courant qui se traduisent dans quinze titres qui, s’ils ralentissent parfois la cadence, n’hésitent pas à célébrer le chaos : tambours, klaxons et sirènes accompagnent de toute leur tension cet électro-rap inventif, sur lequel Zebra Katz bâtit sa propre histoire, pour qu'elle ne soit plus écrit par les autres. The Archer Alexandra Savior Genre pop-rock  On avait un peu oublié Alexandra Savior et sa pop-folk «vintage». Pourtant, en 2017, son premier disque, Belladonna of Sadness, avait placé l’Américaine parmi les belles promesses à venir. Elle confirme ce statut avec cette perle construite autour deux préoccupations : d'abord celle de l'émancipation – la jeune femme prend un nouveau départ chez 30th Century Records, label du toujours inspiré Danger Mouse. Celle, ensuite, de la tristesse, moteur de ces dix titres qui parlent de rupture et d'une existence pas toujours heureuse. Mais – et c'est là toute sa réussite – The Archer délivre sa dose de mélancolie sans jamais rendre l'auditeur triste. Grâce à la douceur des mélodies et le baroque des arrangements, Alexandra Savior donne des frissons et impose sa langueur. Pas sûr, pour le coup, que l'on oublie ce nom de sitôt. The Neon Skyline Andy Shauf Genre pop-rock-folk  Le gentil musicien canadien donne tout son sens à l'expression qui dit que la musique adoucit les mœurs. La sienne est en effet à son image : sensible, discrète, légère. Après le magnifique The Party (2016), album garni d'arrangements folk lumineux et orchestraux, ce Neon Skyline, certes plus dépouillé, garde la mesure : les instruments (piano, guitare, clarinette, flûte, saxophone…) s’entremêlent dans une ronde, et ce, sans prendre le dessus sur l’autre. Un sens de l’humilité qu’Andy Shauf répète dans l’écriture, à travers laquelle il raconte la vie qui passe, les camarades de boisson, les amours fugaces… au coeur de son bar favori. Un peu comme Jean-Marie Gourio et ses Brèves de comptoir, Andy Shauf attrape les histoires qui arrivent jusqu’à lui, les cisèlent et les enrobent avec délicatesse. Forcement, on lève son verre!  Pain Olympics Crack Cloud Genre rock / punk  Comme en témoigne la pochette, où l’on voit la joyeuse bande sourire alors que derrière elle, s’étale une Babylone à la Blade Runner, tout dans Crack Cloud ramène à la force du collectif. Sur scène, le style rugueux, décharné, se marie aux câlins. Dans la vie, c’est aussi la solidarité qui les a permis de sortir du gouffre dans lequel ils s’étaient perdus (drogue, misère, dépression). Sur cette base, la formation de Vancouver, devenue en quatre ans un tentaculaire collectif artistique pluridisciplinaire et multiculturel, déploie son charme froid, qui va bien au-delà de la simple thérapie de groupe. Avec fougue et compassion, il ose quitter les terres punk pour viser tous azimuts. Huit chansons plus tard, la transformation est saisissante. Oui, la voie de la rédemption semble bien entamée.  Future Nostalgia Dua Lipa Genre pop  Il y a eu un premier album à son nom sorti il y a trois ans, suivi de trois Brit Awards, de deux Grammys et de nominations à la pelle. Non, l'Anglaise Dua Lipa, 24 ans, n'a plus rien d’une découverte à l'heure où elle sort son second disque, Future Nostalgia. Au contraire, elle prouve, comme elle le clame à tue-tête, qu’elle a tout d’une grande avec cette réunion de tubes à l'arrière-goût de malaise et de kitsch, qui emprunte aussi bien à la nostalgie disco-funk des années 70-80 qu'aux sonorités electro-pop modernes. De bout en bout, c'est magistralement maîtrisé et foncièrement dansant. Riche en idées, en atmosphères et en mélodies, l’album file sans heurts, donnant des fourmilles dans les jambes. On regrettera cette année la fermeture des boîtes de nuit pour lui rendre l'hommage qu'elle mérite. Every Bad Porridge Radio  Genre rock 

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