Avec Chocolat, Roschdy Zem raconte le destin oublié et tragique du clown noir ainsi que le racisme et la discrimination. Avec l’impeccable Omar Sy dans le rôle-titre.
Une histoire toute simple : deux producteurs de cinéma, Éric et Nicolas Altmayer, lisent un hebdomadaire parisien. Par le plus grand hasard, ils tombent sur un article qui parlait du livre de l’historien Gérard Noiriel (Chocolat clown nègre) dans lequel il racontait le parcours de Rafael Padilla, plus connu sous le nom de scène de Chocolat. Immédiatement, ils ont idée d’un film, contactent Omar Sy, César du meilleur acteur 2013 pour son rôle dans Intouchables . Le comédien est séduit par l’idée. « C’est assez fort et ça méritait d’être fait », s’exclame-t-il.
Ensuite, les deux producteurs contactent, pour la réalisation, l’acteur-réalisateur Roschdy Zem, lequel avoue : « J’ai été frappé par son parcours très singulier et surtout l’idée que Chocolat avait totalement disparu des tablettes. Et puis, franchement, ce Chocolat, je n’en avais jamais entendu parler… » Maintenant c’est Chocolat , un film hommage à un grand personnage du monde du spectacle, à un homme qui, dans la société, a ouvert des brèches et qui a influencé nombre d’acteurs et de duos comiques.
«Il n’y a pas de misérabilisme»
Le réalisateur, 50 ans et déjà remarqué pour ses précédents films (Mauvaise foi , Omar m’a tuer et Bodybuilder), avoue avoir pris quelques libertés avec la réalité historique, « parce qu’on a très peu d’éléments sur le sujet. Le travail effectué par l’historien Gérard Noiriel s’inspire uniquement des articles de journaux de l’époque. On ne savait finalement que très peu de choses. Comme disait Dumas : « On peut coucher avec l’histoire, pourvu qu’on lui fasse de beaux enfants! » Partant de là, on s’est permis pas mal de choses pour mieux étoffer les personnages .»
On sait, parmi quelques certitudes, qu’à la fin du XIX e siècle, Rafael Padilla jouait au cannibale africain avec un chimpanzé dans un cirque qui sillonne les routes de France. Et nous voilà embarqués dans le monde du cirque et du théâtre avec un personnage, le clown Chocolat, à l’incroyable destin, passant de l’anonymat à la gloire et, surtout, premier artiste noir de la scène française.
Avec le clown blanc George Footit, il formera un duo inédit – le succès sera immense et populaire dans le Paris de la Belle Époque. Mais la célébrité, l’argent facile, le jeu et les discriminations vont avoir raison de l’amitié qui unissait le duo, et anéantir la carrière de Chocolat. Le film retrace joliment l’histoire d’un artiste, mais aussi celle d’une vie et d’un homme qui a existé et qu’on a totalement oublié. « C’est ça qui m’excitait », confie Omar Sy, magnifique dans le costume du clown, magique dans le duo qu’il forme avec James Thierrée, petit-fils de Chaplin.
« Il y a pas mal de choses qui me touchent et qui résonnent en moi, tout ce qui concerne la discrimination, l’exclusion, le rapport à l’autre, qui est encore un problème aujourd’hui », ajoute Omar Sy. Une fois encore, Roschdy Zem se coltine en effet au thème du racisme.
Mais il tient à préciser : « Il n’y a pas de misérabilisme. C’était important d’éviter ces écueils de dénonciation d’une certaine époque. Les gens sont suffisamment intelligents pour savoir que le rapport à l’étranger et à l’homme noir était difficile. Tout ça est en filigrane et il était surtout important de raconter la grandeur du personnage. À travers le récit, on sent bien l’époque compliquée qu’il était en train de traverser… ».
Avec deux acteurs parfaits, Chocolat ne conte pas seulement le destin tragique du premier artiste noir de la scène française, émouvant et nécessaire. Il résonne de belle façon dans notre époque tailladée par le racisme et la discrimination.
Serge Bressan
Chocolat , de Roschdy Zem (France, 1h50) avec Omar Sy, James Thiérrée, Clotilde Hesme…