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Chine : le passé dans et autour de l’assiette


À Pékin, un restaurant séduit la jeune clientèle, transposée le temps d’une soirée dans la Chine du XVIIIe siècle. Un succès qui confirme une tendance : celle dite de la «consommation émotionnelle», rattrapant une demande intérieure morne.

Plats raffinés, soie et Chine ancienne : un restaurant de Pékin propose de voyager dans le temps en revêtant des costumes traditionnels pour un dîner-spectacle immersif, symbole d’une consommation qui résiste au ralentissement économique.

Dans une cour pavée, des femmes coiffées de longues perruques et vêtues de robes richement décorées posent ainsi pour des photos sous un pavillon, tandis que résonnent les notes mélodieuses du guzheng, une cithare chinoise. Ces clients ont payé aux alentours de 100 euros pour changer d’époque durant quelques heures, dans un restaurant à thème, récemment ouvert, qui propose service d’habillage et banquet impérial.

La deuxième économie mondiale fait face à une demande intérieure morne, mais de nombreux jeunes continuent à payer des expériences et des objets leur procurant une satisfaction immédiate – une tendance surnommée en Chine la «consommation émotionnelle».

Les moins de 35 ans achètent régulièrement «pour se faire plaisir», soulignait en septembre le journal officiel anglophone China Daily. Cela va des expériences immersives aux peluches Labubu, ces petits monstres qui s’arrachent en Chine comme dans le reste du monde. Avant le dîner, les convives choisissent leurs habits dans une salle remplie d’ornements, de bijoux et de «hanfu», soit des vêtements traditionnels de l’ethnie Han, majoritaire dans le pays.

Carey Zhuang dit avoir déboursé environ 1 000 yuans (121 euros) pour se déguiser en personnage du Rêve dans le pavillon rouge, un classique de la littérature chinoise du XVIIIe siècle, duquel le restaurant tire son inspiration. Vêtu d’un haut en soie rouge orné de dragons, il se dit heureux de dépenser de l’argent pour vivre une nouvelle expérience.

«Il ne faut pas être aveuglément économe. Il faut aussi profiter du moment présent !», affirme le jeune homme de 27 ans, qui travaille dans le commerce. À l’étage, des maquilleuses appliquent du fard à joues sur les pommettes des femmes et ajustent leurs coiffes.

Une fois prête, Wu Ke, présentatrice radio de 22 ans, arbore un long hanfu couleur lilas. Elle se dit passionnée par la culture chinoise et les vêtements des anciennes dynasties. «Dans la vie quotidienne, on fait un peu attention. On mange plus simplement ou on prend les transports en commun.

Mais l’argent qu’on économise finit toujours par trouver un endroit où être utilisé», déclare-t-elle en riant. Dans le jardin, Huang Jing sourit en regardant sa fille de neuf ans poser avec une ombrelle sur un petit pont en bois. L’enseignante dit quant à elle avoir dépensé environ 900 yuans (110 euros) pour que sa fille puisse porter une tenue traditionnelle, profiter du dîner et bénéficier d’une séance photo professionnelle.

Les clients, vêtus de soie et de brocart, sont ensuite guidés vers une grande salle circulaire, où des serveurs, également en hanfu, leur servent un dîner en huit plats. Le repas est alors entrecoupé d’un spectacle en huit tableaux mêlant danses tournoyantes et dialogues théâtraux.

Le hanfu a regagné en popularité en Chine au cours de la dernière décennie, surtout auprès des jeunes femmes, qui aiment le porter lors de visites dans des sites touristiques. Le mot-clé «hanfu» dépasse les 11 milliards de vues sur Xiaohongshu, un réseau social chinois similaire à Instagram. Huang Jing voit dans cette tendance un signe encourageant que la culture chinoise «séduit les jeunes».

«J’espère que la génération de ma fille pourra continuer à pratiquer, à transmettre et à diffuser cette tradition afin que davantage de personnes puissent la connaître», ajoute-t-elle. La résurgence du hanfu illustre parfaitement cette «consommation émotionnelle», souligne Yang Jianfei, le directeur du département de gestion culturelle à l’université de la Comunication de Chine, à Pékin.

Ces expériences immersives sont une manière pour les jeunes de redécouvrir leur identité et leurs «racines culturelles», analyse-t-il. Pour Wu Ke, le prix du repas, onéreux, est totalement justifié. «Je préfère voir ça simplement comme une façon de me rendre heureuse».

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