Vimala Pons vient de sortir un album, le très expérimental Heaven and Hell. C’est l’occasion de faire un focus sur ces actrices françaises qui n’interprètent pas que des rôles au cinéma, mais des chansons aussi. Et elles sont (très) nombreuses.
Si jouer et chanter représentent deux activités distinctes, les termes sont synonymes. Quand on chante, on joue aussi. Mieux encore : on interprète. Chanter, c’est jouer, et pas qu’avec les mots; chanter, c’est transcender le verbe, par le lyrisme. À partir de là, ce constat : les actrices chantent, les chanteuses jouent. Et ce, à l’échelle mondiale, des musicarelli en Italie jusqu’aux comédies musicales hollywoodiennes, en passant par La La Land (Damien Chazelle, 2016), film dans lequel Emma Stone, bien plus que la réplique, donne le la (la) à Ryan Gosling.
Mais restons en France. La liste d’actrices chanteuses est longue. Mais s’agit-il d’actrices qui deviennent chanteuses ou de chanteuses qui deviennent actrices? Avant d’être chanteuse, Jane Birkin est actrice. Dès 1966, elle joue dans Blow-Up (Michelangelo Antonioni), alors que le disque Jane Birkin – Serge Gainsbourg sort en 1969, année érotique. Charlotte Gainsbourg, elle aussi, est actrice, mais peu de temps avant de chanter : en 1984, elle est, sur grand écran, L’Effrontée (Claude Miller), deux ans plus tard, elle est, musicalement, Charlotte for Ever.
Voix de cinéma et chant doublé
Jouer et chanter se confondent, et au titre de son film Ma femme est une actrice (2001), Yvan Attal aurait pu ajouter «et une chanteuse». Autre exemple : Chantal Goya. Elle devient chanteuse avec C’est bien Bernard en 1964 pour, un an plus tard, tourner dans Masculin féminin de Jean-Luc Godard. En ce qui concerne Jeanne Moreau, c’est amusant : son premier film, en 1949, s’intitule Le Dernier Amour (Jean Stelli), alors que sa première chanson se nomme L’amour s’en vient, l’amour s’en va… Il s’agit, pourrait-on dire, d’un écho, pour le son, ou d’un reflet, pour l’image. Si Juliette Gréco est, quant à elle, connue avant tout en tant que chanteuse, elle débute au cinéma en travaillant avec Julien Duvivier (Au royaume des cieux, 1949). Elle devient chanteuse après avoir été actrice, pour faire ensuite, conjointement, du cinéma et de la musique. Voir et écouter ne sont alors pas synonymes : ils ne font qu’un.
Si Chiara Mastroianni vocalise sur Home, disque-bébé conçu avec BB, Benjamin Biolay, sa moitié de l’époque, elle concilie cinéma et chant dans Les Chansons d’amour (Christophe Honoré, 2007). Sa mère, Catherine Deneuve, est connue pour ses chansons, chez Jacques Demy, en duo avec sa sœur Françoise Dorléac, qu’il s’agisse des Parapluies de Cherbourg (1964) ou des Demoiselles de Rochefort (1967). Sauf que son chant est doublé, comme une cascade – il s’agit de jouer, quelque part, à chanter, comme un playback au cinéma.
Actrice qui chante, chanteuse qui joue
En fait, Catherine préfère rapper : dans Belle Maman (Gabriel Aghion, 1998), elle pose son flow, sur un texte écrit par Stomy Bugsy. Mais dans Huit Femmes (François Ozon, 2002), Deneuve se prête au petit jeu de la chanson, comme les sept autres actrices, Virginie Ledoyen en ayant déjà fait l’expérience dans Jeanne et le Garçon formidable (Olivier Ducastel et Jacques Martineau, 1998) et Isabelle Huppert également, avec Jean-Louis Murat sur Madame Deshoulières (2001).
Adjani, autre Isabelle iconique, chante elle aussi : si Pull marine reste son plus grand hit, elle a aussi travaillé avec Gainsbourg, en solo ou en duo, et Christophe lui accorde tout l’espace, dans les paroles, de Wo Wo Wo Wo. C’est d’ailleurs, au passage, le même Christophe qui appose le grain rauque d’Anna Mouglalis sur l’orchestration, somptueuse, du morceau E Justo. L’actrice ne chante pas, elle parle, en fait, elle lit, le passage du poème Vale de Catherine Pozzi. Tout cela fait sens : avant d’être des chanteuses en puissance, les actrices sont, aussi, des voix.
Marion Cotillard est actrice, mais elle n’est pas chanteuse. C’est ainsi que sa biographie la qualifie. Sauf qu’elle a obtenu sa notoriété internationale en chantant, via l’incarnation d’Édith Piaf dans La Môme (Olivier Dahan, 2007). Le cas de Louane est le même, mais à l’envers, si l’on ose dire. En 2013, la jeune femme participe à l’émission de télé-crochet The Voice, avant de camper, l’année suivante, une chanteuse en devenir dans La Famille Bélier (Éric Lartigau) : ce n’est ici pas une actrice qui joue le rôle d’une chanteuse, mais une chanteuse qui joue la comédie.
La musique, parenthèse récréative
Pour d’autres actrices, la musique peut être une parenthèse récréative. Bien avant d’interpréter Céline Dion dans son Aline (2020), Valérie Lemercier sort, en 1996, un disque unique – unique pour one shot et singulier. Et le titre est parlant : Valérie Lemercier chante. En chantant, Agnès Jaoui, quant à elle, se reconnecte avec ses premières amours, puisqu’elle a fait le Conservatoire à l’âge de dix-sept ans. Et ses amours, musicales, sont latines : elle chante en espagnol et en portugais, sur du flamenco, du fado ou du boléro. Enfin, si Emmanuelle Seigner est une actrice rock, il est alors naturel qu’elle interprète, accompagnée de sa bande Ultra Orange, des chansons rock.
Vimala Pons est plus radicale. En 2019, elle publie Victoire Chose, un disque que l’on qualifiera vite d’expérimental. Celui-ci est habité par sa patte, elle n’est là plus actrice, elle dirige, puisque, en plus d’écrire les chansons (avec Tsirihaka Harrivel), elle joue du clavier, du multipad, de la clarinette, et y fait des claquettes. Il y a aussi, on ne se refait pas, une place pour le cinéma, à travers l’influence de bandes originales italiennes, Morricone ou Rota, et japonaises, de Yokohama à Kawai.
Le petit nouveau, Heaven and Hell, est, cette fois, une bande originale, composée dans le cadre d’une série de photos façonnée par Nhu Xuan Hua et Vimala Pons. La musique, expérimentale ad lib, et les paroles, troubles, sont signées par l’actrice. Et elle chante, mais pas que. Elle y incarne non pas huit, mais neuf femmes, à partir d’héroïnes fictives ou réelles. Conclusion : ce sont la musique et le cinéma qui ne font qu’un.
De notre correspondant, Rosario Ligammari