Ils sont amis depuis dix ans, colocataires et espoirs de la scène musicale au Luxembourg. Maz et CHAiLD se retrouvent sur la même scène, ce samedi. Une première officielle ! Ça méritait bien quelques confidences.
Une année et demie qu’ils attendent ça! D’abord reporté en mars 2020, en début de pandémie, puis il y a un an, leur concert commun prévu à la Kulturfabrik se présente enfin samedi. Adriano Lopes Da Silva (alias CHAiLD), 23 ans, et son compère Thomas Faber (Maz), 22 ans, auront 45 minutes en solo, avant de se retrouver pour un set mixte.
L’occasion de revenir sur un tandem qui ne se quitte jamais vraiment malgré ses orientations musicales : une pop électronique pour le premier qui, dès la fin du show, postera une nouvelle chanson après un long silence. Un rap tranchant et sombre pour le second, qui compte sortir un EP en février prochain. Colocataires à Bruxelles depuis septembre, le duo raconte ce qui les réunit, comme leur tube Sick Water et d’autres singles qui ne sortiront jamais.
À quand remonte votre première rencontre ?
Maz : On avait douze ans, pour notre première année de lycée. On est restés ensemble les sept suivantes. Samedi, on fêtera dix ans d’amitié, plus ou moins…
Et votre première discussion autour de la musique ?
CHAiLD : Un jour, à la cantine de Rodange. Je lui ai dit : « Toi, tu joues et moi, je chante ! ». Finalement, c’est arrivé lors de mon premier show à la Kulturfabrik, en 2017. Je n’avais aucune chanson à présenter, mais un ami derrière moi à la batterie.
Il y a dix ans, vous écoutiez quoi?
CHAiLD : Lui du metal et moi de la pop. Bref, le grand écart ! Bien sûr, on a dû écouter ensemble Gangnam Style! Je me rappelle qu’en 5e, lors d’un voyage scolaire, on chantait Birdy de Wings (ils fredonnent ensemble). Mais Thomas a toujours fait plus d’effort pour écouter ma musique que l’inverse.
Maz : Du coup, on ne s’est jamais embrouillés là-dessus !
Qui a été le moteur « musical » ?
CHAiLD : C’est rigolo, car on s’est toujours suivis de près. Il s’est produit au Sonic Visions, moi l’année d’après. Idem pour le Screaming Fields.
Maz : Concrètement, Adriano a toujours préféré la théorie à la pratique. Moi, je suis plus du genre « allez, c’est bon, on y va! »
CHAiLD : C’est clairement lui le moteur! D’ailleurs, Thomas ne m’a jamais demandé de l’aider. Lui s’en foutait que son set ne soit pas parfait, et de ce que pensent les autres. Moi non. Dès que je parlais au lycée, on me disait « espèce de pédé! ». Côté, confiance, je crois que ça m’a un peu bloqué…
Avez-vous toujours eu la volonté d’être musicien ?
CHAiLD : Moi oui, c’était juste une évidence…
Maz : Ce n’est pas mon cas. À 12-13 ans, quand on demandait ce que je voulais faire dans la vie, je répondais journaliste, médecin, criminologue même (il rit). La batterie ou le piano, c’était juste un hobby. Le déclic, ça a été mon succès au Screaming Fields, en 2017. On se dit « tiens, il y a du potentiel ! ».
CHAiLD : C’est le moment où l’on ne se cherche plus d’excuses.
Et jouer ensemble, comme cela s’est-il imposé ?
Maz : Naturellement. On était deux amis et les seuls qui jouaient de la musique dans notre entourage.
CHAiLD : Tu avais acheté une Loop Station (NDLR : appareil qui enregistre des boucles en direct). On s’est alors amusés dessus jusqu’au moment où on a décidé de faire une chanson, qui n’est d’ailleurs jamais sortie : Black Wolf.
Pourquoi est-elle restée dans les cartons ?
CHAiLD : Déjà parce qu’on n’a jamais fini le clip !
Maz : C’était aussi mon choix. Je voulais la mettre sur mon premier album (NDLR : Immortalisation), mais elle ne collait plus à l’atmosphère, au concept… J’ai des regrets, car j’adore ce morceau. Il est vieux, mais beau.
CHAiLD : Surtout prépubère, oui ! On l’a quand même chanté à la remise des diplômes en 2018 ! Et on la jouera samedi.
Depuis, vous avez signé deux titres à quatre mains : Sick Water (2019) et Circles (2020). Est-ce quelque chose qui compte ?
CHAiLD : Clairement. Je regrette même qu’on n’en ait pas sorti plus. On a été un peu feignants sur le coup-là…
Maz : On est du genre à enregistrer plein de trucs et ne jamais les sortir. Même Circles, qui était notre réponse au confinement, n’était pas la version originale, qui est restée dans les cartons !
Vous vous souvenez, justement, de sa création ?
CHAiLD : Sacrée ambiance ! On avait l’impression que le monde allait s’arrêter. Il y avait un côté solennel et glauque.
Maz : Après, on s’est quittés en se demandant quand on allait pouvoir se revoir. C’était trop bizarre.
Vous les aimez, ces deux morceaux ?
CHAiLD : Oui, même Sick Water, qu’on a pourtant tellement entendu. J’hésitais à la sortir. Je venais de lancer mon projet et je voulais m’en débarrasser. On s’est dit « tant pis si les gens la trouvent ennuyante »… Pourtant, encore aujourd’hui, c’est la chanson qui fonctionne le mieux. On m’en parle régulièrement !
Maz : Sur Spotify, elle fait 250 000 écoutes, et plus de 20 000 vues sur YouTube. C’est dingue ! On ne s’y attendait pas.
L’un fait du rap nerveux et l’autre de la pop plus « sucrée« . Quel style pourrait vous unir ?
Maz : On trouvera toujours un terrain d’entente, même si ça exige des compromis. Je ne vais pas lui demander de faire du metal. Et moi, je n’ai pas la volonté de faire dans son style. Finalement, ça tient un peu au hasard…
CHAiLD : C’est cela ! On aime se retrouver sur des balades, du hip-hop aussi. En même temps, le rap s’est tellement rapproché de la pop que c’est devenu plus facile de trouver un entre-deux.
Habiter ensemble, c’est arrivé comment ?
CHAiLD : J’étais à Liverpool, mais la conjugaison covid-Brexit était compliquée. Et comme mon projet avançait ici, malgré la quarantaine, prendre l’avion me coûtait les yeux de la tête ! Il fallait alors me reprocher, ne serait-ce que pour gérer l’équipe qui m’accompagne.
Maz : Moi, je voulais sortir du pays et entamer une formation dans la production musicale. Mais j’ai aussi mon équipe au Luxembourg, et j’y travaille en free-lance. Je ne pouvais pas partir loin. Quand Adriano m’a appelé pour me proposer Bruxelles, j’ai dit « d’accord, mais on habite ensemble ! ». C’était idéal.
CHAiLD : Et Bruxelles, c’est cool! C’est proche et ultraconnecté !
Vous dites qu’il est nécessaire de quitter le Luxembourg. Pourquoi ?
CHAiLD : Il y a beaucoup de choses au pays, et on est des privilégiés. D’où l’idée de sortir pour se confronter au monde. Au vrai ! Ici, quand la spirale du succès s’active, ça peut vite vous monter à la tête. Vous vous entendez tout le temps à la radio et la compétition se résume à trois autres chanteurs. En Angleterre, j’ai côtoyé des talents qui n’ont rien, galèrent pour manger et jouent pour trois pintes la soirée… Ça calme ! Une grande leçon d’humilité et de vie.
Maz : Au Luxembourg, on fait aussi vite le tour. Si vous voulez vous professionnaliser, l’étape d’après, c’est d’aller à l’étranger. Et puis, question mentalité, y a mieux…
CHAiLD : Je me rappelle qu’à l’époque, quand on disait que l’on voulait faire de la musique, on se prenait de nombreuses remarques, même des professeurs! Et je ne parle pas du regard sur les « queers »…
Maz : Partir, c’est s’affranchir du regard et des préjugés des autres.
CHAiLD : Et franchement, ça fait du bien d’être soi-même, sans avoir besoin de se justifier. Ici, ce que l’on fait au lycée, ce que l’on est, ça vous colle longtemps à la peau…
Quel son tourne dans l’appartement ?
CHAiLD : Thomas est plus gentil que moi. Moi j’arrive, et j’appuie sur le bouton de la chaîne (il rit). Il a de la patience et moi, je suis égocentrique dans mes écoutes.
Maz : Comme j’écoute parfois des choses violentes, j’épargne mon colocataire !
CHAiLD : Cela dit, en octobre, on a tous les deux eu le covid. On est restés bloqués ensemble 14 jours. Du coup, on a écouté du Tokyo Hotel et des chansons allemandes, genre Perfekte Welle!
Samedi, vous vous retrouvez enfin sur scène, après deux précédentes annulations. C’est le concert « poisse« par excellence, non?
Maz : La première fois, c’était une déception : on était prêts.
CHAiLD : J’ai atterri de Liverpool, et juste avant la répétition, Xavier Bettel annonce que tout s’arrête. On était ensemble devant la télévision en mode « c’est pas possible ».
Maz : L’annulation du second concert était par contre un choix. On aurait pu faire un petit show assis pour 50 personnes, mais on n’en avait pas envie. Ça n’avait aucun sens !
CHAiLD : Ce fut un choix polémique. Pour la Kulturfabrik, ce n’était pas cool : les salles avaient besoin que des artistes locaux relancent la machine. Mais on voulait faire quelque chose de bien, pas un truc au rabais.
Du coup, cette scène commune, est-ce une libération ?
Maz : On est contents, oui et soulagé que ça se termine. Ce concert traîne depuis trop longtemps. Et c’est toute une organisation à relancer à chaque coup.
À quand, maintenant, un album commun ?
Maz : J’en suis sûr qu’un jour, on fera un album ensemble. Mais c’est un projet qui attendra.
CHAiLD : Il faut d’abord se poser la question du sens d’un tel geste. Selon moi, il s’agit d’être patient, que l’on grandisse, que l’on existe sur la scène européenne, chacun de notre côté, avant d’imaginer autre chose.
Maz : C’est juste. Aujourd’hui, on trouve doucement notre style, notre esthétique… Un album commun, ce serait prématuré.
CHAiLD : Par contre, des chansons, oui ! Et qu’on n’oublie pas de les sortir (rire général).
Samedi à 20 h.
Kultufabrik – Esch-sur-Alzette.
Support : Maale Gars.
COMPLET.
Partir du Luxembourg, c’est s’affranchir du regard des autres et des préjugés
Dès que je parlais au lycée, on me disait « pédé! ». Côté confiance, ça m’a un peu bloqué…
Grégory Cimatty