Malgré deux grandes actrices, Cate Blanchett et Rooney Mara, avec son film Carol, Todd Haynes propose une banale adaptation du roman de Patricia Highsmith.
Lors de sa présentation au festival de Cannes en mai 2015, on l’a dit et répété : voici un film qui a nécessité pas moins d’onze années de développement. À ce tarif, on est en droit (légitime, pour le moins) d’attendre un chef-d’œuvre. C’est malheureusement loin d’être le cas pour Carol , le nouveau film de Todd Haynes. On a là seulement droit à un mélo bien sirupeux (certains vont jusqu’à dire «insipide»), alors que quelques-uns assurent qu’on a là un drame sublime – on se calme parce que le réalisateur américain Todd Haynes n’a pas su répéter le joli coup qu’il avait réussi en 2003 avec Far from Heaven –, un film sur l’homosexualité dans l’Amérique bourgeoise des années 1950.
Avouons que cette histoire de Carol a connu pas mal de soubresauts avant d’être fixée sur le grand écran : il y eut d’abord Phyllis Nagy qui, en 1996, a écrit un premier scénario adapté d’un roman de Claire Morgan (un des 40 pseudonymes de la romancière Patricia Highsmith, décédée en 1995), laquelle n’était pas convaincue de la possible adaptation de son roman en film, vu son intense et intime point de vue – conséquence : le travail effectué par Nagy demeura dans un tiroir… Jusqu’en 2013, quand Todd Haynes reprit l’affaire après le départ de John Crowley, réalisateur, entre autres, de Boy A et True Detective .
En 1952, Highsmith avait fait sensation avec Carol , son roman signé du pseudo Claire Morgan. À l’époque, l’écriture d’un texte sur une relation lesbienne, ça frisait la provocation aux États-Unis (et pas seulement), c’était aller à l’encontre des valeurs propres à la société américaine des années 1950. Ce qui n’empêcha pas que, lors de sa sortie en librairie, Carol connaisse un grand succès, à la fois commercial (un million d’exemplaires vendus) et critique. Revendiquant son homosexualité depuis de nombreuses années, Todd Haynes, 55 ans, a expliqué qu’un roman comme Carol ne pouvait pas lui échapper. Et quand il a repris l’histoire de l’adaptation, il a posé une condition aux producteurs : pas question de s’éloigner du texte de Morgan-Highsmith.
Le piège des conventions
Ainsi, on se retrouve plongé dans le New York des années 1950. Il y a Therese, elle est jeune et travaille dans un grand magasin de Manhattan. C’est là qu’elle va rencontrer une cliente distinguée – elle se prénomme Carol, elle est séduisante et enfermée dans un mariage peu heureux. Dès la première rencontre entre Thérèse et Carol, il y a une étincelle, puis va s’installer un sentiment plus profond. Mais là, alors, l’une comme l’autre sont prises au piège. Celui des conventions, celui de leur attirance mutuelle.
La grande Cate Blanchett, qui joue le personnage de Carol, rappelle que « le film se déroule à une période où une relation sexuelle entre deux femmes était taboue et considérée comme une maladie qui pouvait être soignée. Il y a 60 ans, c’était criminel d’aimer une personne du même sexe. De nos jours, c’est encore le cas en Russie et dans certains pays d’Afrique. Heureusement que la majeure partie des pays développés ont compris que l’amour est libre de s’exprimer de différentes façons… »
De son côté, Rooney Mara, qu’on avait vue dans Millenium , de David Fincher, et qui s’est glissée dans les habits de Thérèse – un rôle qui lui a valu le prix d’interprétation féminine (ex aequo avec Emmanuelle Bercot) lors du festival de Cannes 2015, confie que le sujet de Carol « paraît ahurissant aujourd’hui. Dans l’Amérique des années 1950, l’homosexualité était un sujet tabou. Vivre ses sentiments sans se cacher n’était pas une option dans la société » et que, comme son personnage de Thérèse, elle s’est « demandé quel sens donner à mon existence. Thérèse est perdue, elle essaye de se projeter dans le futur : quelle femme va-t-elle devenir? Et même si ce film sert la cause gay, je le vois surtout comme un film d’amour jalonné d’obstacles comme la différence d’âge et de milieu. Leur amour y survivra-t-il? »
Serge Bressan
Carol , de Todd Haynes. (Grande-Bretagne/États-Unis, 1h58) avec Cate Blanchett, Rooney Mara, Kyle Chandler…