Wes Anderson ne fait ni des comédies, ni des drames, ni des films d’aventure. Il fait du Wes Anderson. Une recette cinématographique, dont la folie douce a séduit la pléthore de stars qui montent les marches de Cannes pour The French Dispatch.
Il n’y a aucune raison que le film, l’un des plus attendus de la sélection cannoise, ne déroge à la patte inimitable de ce cinéaste de 52 ans, magicien de l’image obsédé par le détail et la symétrie, qu’il cultive depuis ses débuts, avec des films comme La Famille Tenenbaum (2001) ou La Vie aquatique (2003).
Peu de réalisateurs sont à ce point associés à un style aussi décalé et spécifique, parsemé de personnages obsessionnels taraudés par la paternité, de références aux années 1960, de lettres manuscrites, et de couleurs pastel.
« Wes fait de plus en plus du Wes », explique Sophie Monks Kaufman, autrice d’un livre sur le réalisateur. « Ses premiers films sont presque naturalistes comparé à ce qu’il fait aujourd’hui. Où cela s’arrêtera-t-il ? ». Jusqu’à présent, la recette paie. Ce natif du Texas, yeux clairs, cheveux mi-longs, look de dandy, garde un contrôle artistique total sur ses créations et les stars se pressent pour rejoindre ses plateaux de tournage, que l’on dit très conviviaux.
Le plus fidèle est Bill Murray, qui balade de film en film son flegme et son air pince-sans-rire, jusqu’au rôle du rédacteur en chef du supplément d’un magazine américain, basé dans la ville française fictive d’Ennui-sur-Blasé, pour The French Dispatch. Owen Wilson, Tilda Swinton et Adrien Brody travaillent aussi régulièrement avec lui, et il a pu attirer les stars Timothée Chalamet et Benicio del Toro pour ce nouveau film.
« Un type facile »
Ces vedettes « tournent dans ses films parce que c’est marrant », explique le critique britannique Dorian Lynskey. « C’est un type facile, qui produit pourtant une esthétique totale, qu’on imaginerait plutôt associée avec un réalisateur difficile ».
Nommé sept fois aux Oscars, mais jamais lauréat, cet ovni d’Hollywood brigue la Palme d’or à Cannes, où il concourt pour la deuxième fois, après Moonrise Kingdom en 2012. Sous le vernis tendre et coloré des petits mondes qu’il recrées en miniature, l’œuvre de Wes Anderson est traversée par les drames de la vie : l’abandon, la perte des illusions, le suicide, la perte d’un parent ou d’un enfant. Le divorce de ses parents à l’âge de huit ans l’a profondément marqué, et les familles brisées sont un thème récurrent de ses films.
L’enfance, d’une manière générale, est omniprésente dans l’œuvre de celui qui a aussi décliné son style dans l’animation: il a filmé son propre lycée dans Rushmore (1998), et a rendu hommage à l’explorateur Jacques-Yves Cousteau (La Vie aquatique, 2003) ou au romancier Roald Dahl (Fantastic Mr Fox).
« Il semble qu’il soit particulièrement nostalgique de ses 12 ans », écrit Sophie Monks Kaufman. « Il a la capacité de se souvenir de cet âge où l’on peut être totalement submergé par un coup de foudre, où un livre peut prendre la place de votre monde tout entier ».
Son cinéma est parfois qualifié de maniéré, taillé pour les hipsters avec son goût pour le clin d’œil ironique et le désuet. Mais ses images ont eu une large influence, de la décoration intérieure aux pubs pour Gucci. Un compte Instagram, « Accidentally Wes Anderson » recense les photos de lieux réels qui mériteraient de figurer dans ses films…
« Il s’est créé sa propre petite industrie, et il a eu tellement de succès qu’il n’a pas à courtiser les puissants », explique Sophie Monks Kaufman. « Parfois, j’ai songé à changer d’approche », a confié Wes Anderson à la radio américaine NPR. « Mais en vrai, c’est ça que j’aime faire. »
AFP/LQ