Programme aux contours politiques, affirmation d’une nouvelle génération de cinéastes, présence de stars absolues du cinéma… Voici ce qu’il faudra observer de près au 78e festival de Cannes, qui débute ce mardi soir.
Vingt-deux films en compétition
Le plus grand évènement annuel du 7e art se tient jusqu’au 24 mai, date de la remise de la Palme d’or qui succédera à Anora, de l’Américain Sean Baker. «Cannes, c’est un cinéma souvent politique, souvent social, sociétal, un cinéma citoyen», a estimé hier l’acteur et humoriste français Laurent Lafitte, qui animera pour la deuxième fois ce soir la cérémonie d’ouverture. «
On peut parler un peu du monde sans être trop sentencieux ni donneur de leçons, c’est le bon endroit en tout cas», a-t-il ajouté, pendant qu’arrivaient au compte-goutte Juliette Binoche et les membres de son jury, comme l’actrice américaine Halle Berry et l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani.
Les jurés devront départager 22 films en compétition, dont le retour de grands habitués du rendez-vous comme Wes Anderson (The Phoenician Scheme), l’Iranien Saeed Roustaee (Woman and Child), le Norvégien Joachim Trier (Sentimental Value), la Britannique Lynne Ramsay (Die, My Love) ou les anciens palmés Jean-Pierre et Luc Dardenne (Jeunes Mères) et Julia Ducournau (Alpha).
Le Luxembourg à Cannes
Sur la Croisette, le Luxembourg répond toujours présent et montre que son cinéma est bel et bien à sa place dans la plus prestigieuse des compétitions. C’est peu de le dire, car la seule coproduction luxembourgeoise en lice pour la Palme d’or, cette année, part déjà favorite : le cinéaste iranien dissident Jafar Panahi, plusieurs fois primé à Cannes, Berlin et Venise, présentera It Was Just an Accident, son nouveau long métrage, le premier depuis son arrestation en 2022 et son incarcération dans la prison d’Evin, à Téhéran, comme son compatriote et collègue Mohammad Rasoulof. Toujours critique envers le régime, réalisant ses films sans autorisation, Panahi raconte dans cette fiction «la chaîne d’évènements déclenchée par un accident mineur». Le film a été coproduit au Luxembourg par Bidibul Productions.
Plus connue pour ses projets animés ou à destination des jeunes publics, la société de production luxembourgeoise fondée par Christel Henon et Lilian Heche présentera encore, cette fois en séance spéciale, Marcel et Monsieur Pagnol, une biographie animée de l’écrivain, dramaturge et réalisateur français – auquel le festival de Cannes rendra par ailleurs hommage, 130 ans après sa naissance. Le film, réalisé par Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville, 2003), a été conçu en partie au Luxembourg en collaboration avec Doghouse Studio (pour le layout, les décors couleurs et l’animation 2D), tandis que la postproduction sonore a été réalisée par les studios Philophon. Il est attendu dans les salles luxembourgeoises à l’automne.
Un an après avoir été membre du jury Un certain regard, et trois ans après avoir remporté le prix d’interprétation de cette même sélection (pour le film Corsage), Vicky Krieps y fera son retour sous une double casquette d’actrice et, pour la première fois, de productrice, avec Love Me Tender, d’Anna Cazenave Cambet, qui raconte la lutte d’une mère pour la garde de son fils. Il s’agit de la toute première coproduction (minoritaire) de Viktoria Productions, société fondée par l’actrice luxembourgeoise en 2022.
Mais c’est surtout du côté de la réalité virtuelle (VR) que le Luxembourg sera attendu, puisque la sélection Cannes Immersive, introduite en 2024, dédie pour sa deuxième édition un «Focus» au Grand-Duché avec cinq œuvres récentes, dont Ito Meikyu, de Boris Labbé (Les Films Fauves – Grand Prix Venice Immersive), Oto’s Planet, de Gwenael François (Skill Lab – prix spécial du jury Venice Immersive) et Ceci est mon cœur, de Stéphane Hueber-Blies et Nicolas Blies (a_BAHN).
En outre, The Dollhouse, de Charlotte Bruneau et Dominic Desjardins (Wild Fang Films), sera en compétition pour le prix de la meilleure œuvre immersive. Le coup de projecteur qu’il fallait pour installer le Luxembourg comme une terre d’innovation, d’audace et de diversité dans le panorama international du cinéma actuel.
Lors de l’«Animation Day» organisé par le Marché du film en collaboration avec le festival d’Annecy, cinq projets en développement seront présentés, dont Julián, coproduction luxembourgeoise (Mélusine) réalisée par l’Irlandaise Louise Bagnall. Le producteur luxembourgeois Vincent Quénault (Red Lion) a été sélectionné dans le programme «Producer on the Move 2025», organisé par la European Film Promotion.
La traditionnelle journée luxembourgeoise organisée par le Film Fund aura lieu quant à elle le 17 mai, en présence du ministre de la Culture, Eric Thill.
Les enjeux du monde
Les dirigeants du festival ont dédié la journée d’ouverture à l’Ukraine en guerre, avec la projection de trois documentaires, dont un en immersion dans un peloton de l’armée ukrainienne, «afin de raconter ce conflit au cœur de l’Europe», ont-ils souligné dans un communiqué. Donald Trump, qui a plongé l’industrie du cinéma dans l’expectative en menaçant d’instaurer des droits de douane de 100 % sur les films étrangers, ou la guerre à Gaza seront également dans les esprits.
Le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk, de l’Iranienne Sepideh Farsi (dans la sélection parallèle ACID), risque d’être l’une des séances les plus chargées en émotion : sa protagoniste, Fatima Hassouna, une Gazaouie de 25 ans qui photographiait son quotidien dans la guerre, a été tuée par un missile israélien mi-avril, au lendemain de l’annonce de la sélection du film.
Le cinéaste israélien Nadav Lapid, très critique des orientations politiques de son pays, a été retenu en dernière minute à la Quinzaine des cinéastes pour Yes. Le film se déroule en Israël au lendemain du 7-Octobre et suit un musicien qui doit mettre en musique un nouvel hymne national.
Le délégué général, Thierry Frémaux, pourrait aussi être interrogé sur la lutte contre les discriminations liées au genre et les violences sexistes et sexuelles. Des parlementaires français ont appelé le festival à faire évoluer les mentalités. Sur 22 films en compétition, sept seulement sont réalisés par des femmes. Hasard du calendrier, la cérémonie d’ouverture se tiendra quelques heures après le délibéré très attendu au procès à Paris de l’acteur Gérard Depardieu, pour des agressions sexuelles lors d’un tournage.
Palme d’or pour De Niro
Après Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, le festival continue sa tournée des légendes du Nouvel Hollywood, ce mouvement qui révolutionna le cinéma américain, et pas seulement, à partir des années 1970. C’est cette fois l’un des acteurs mythiques de sa génération, Robert De Niro, qui montera les marches, pour se voir décerner une Palme d’or d’honneur pendant la cérémonie d’ouverture, ce soir.
À 81 ans, le petit voyou devenu redoutable mafieux chez Scorsese est un grand habitué de Cannes. Robert De Niro pourra se remémorer le passé, de Taxi Driver (Palme d’or 1976) à Once Upon a Time in America, et évoquer le présent : il est un farouche opposant à Donald Trump et vient d’apporter publiquement son soutien à sa fille transgenre, les droits des personnes trans étant dans le viseur du président américain.
Nouvelle garde
Consacrée aux découvertes, la section Un certain regard est aussi cette année celle des premiers longs métrages de comédiens stars passés derrière la caméra. Ainsi, Scarlett Johansson y présentera son premier film de réalisatrice, Eleanor the Great. À 40 ans, l’actrice américaine à l’affiche du nouveau Wes Anderson, raconte l’histoire d’une nonagénaire qui emménage à New York et cherche à nouer une amitié.
Sa compatriote Kristen Stewart, 35 ans, signe de son côté The Chronology of Water, inspiré de l’histoire d’une romancière et ancienne nageuse qui a grandi dans un environnement violent. Quant au Britannique Harris Dickinson (Triangle of Sadness, Babygirl), il présentera à 28 ans son premier long métrage, Urchin, avant son prochain rôle, celui de John Lennon dans une série de films très attendus sur les Beatles.
Tous trentenaires, l’actrice et réalisatrice française Hafsia Herzi, le réalisateur chinois Bi Gan, l’Espagnole Carla Simón ou encore l’Américain Ari Aster, nouvelle coqueluche du cinéma d’horreur, feront pour leur part leurs débuts en compétition officielle.
Impossible n’est pas Tom Cruise
Bouquet final pour une franchise inaugurée il y a trente ans par Brian De Palma : demain, Tom Cruise présentera l’ultime volet de Mission : Impossible. Trois ans après avoir assuré le spectacle sur la Croisette pour Top Gun : Maverick, puis être descendu en rappel du toit du Stade de France pendant la cérémonie de clôture des JO de Paris-2024, l’acteur américain promet de se surpasser. Le blockbuster de l’année dure 2 h 50 et est attendu en salles le 21 mai. Fidèle à son habitude, Tom Cruise enchaîne les cascades les plus spectaculaires, tournées sans trucage, dont une séquence où il est accroché à l’aile d’un avion, filant à 2 000 mètres d’altitude par un vent à 225 km/h !