Jouer en grand ensemble n’est pas l’exclusivité du classique. Après le live seul à la maison, voici l’ère des morceaux de musiques actuelles composés à plusieurs, jusqu’à 20 ou 40 !
Dès le début du confinement, Taur, artificier electro, lance le « Projet 40 », soit « 40 artistes en quarantaine pour 40 minutes de musique ». « Dans ce moment d’anxiété, inconsciemment, j’ai cherché une porte de sortie, par la musique, dépeint-il. Beaucoup d’artistes sont dans le même bateau –plus de concerts, projets bloqués, etc.– je me suis dit que ça permettrait de passer par un épisode plus lumineux ».
Parmi les quarante rugissants, on trouve l’élégant Malik Djoudi, nommé aux dernières Victoires de la musique, les iconoclastes Naive New Beaters, l’animal de studio Alex Gopher et des agitateurs electro comme Jabberwocky ou Canine. « Ce qui m’a poussé à le faire, c’est partager avec des gens de tous horizons, que je les connaisse ou pas, c’est excitant, et outre cette originalité, ça m’a emmené à des endroits où je n’étais jamais allé », se réjouit Malik Djoudi.
Après avoir reçu les premières idées de chacun, Taur a une belle inspiration : « J’ai rendu anonyme chaque proposition et l’ai envoyée à quelqu’un d’autre pour travailler dessus, en aveugle, avec deux-trois aller-retours à chaque fois. » Pour ne pas se noyer dans des vagues de fichiers-sons et voix, « ma copine m’aide et gère un énorme tableau Excel », rigole Taur. Lui, c’est l’architecte et le manager. « Dans mon boulot, l’informatique, je sais déjà un peu le faire avec des développeurs, mais là ce sont des artistes, donc il faut faire attention aux ego et aux frustrations (rires) ».
Malik Djoudi est admiratif : « C’est assez dingue, gérer 40 artistes, c’est comme si tu faisais trois albums en même temps. Et Taur fait ça naturellement, de façon cool. » « On va vers un album, entre 14 et 16 morceaux, où chacun participe au moins à un titre », anticipe Taur, qui rêve d' »une belle conclusion, avec une sortie autour du 11 mai », date du déconfinement progressif fixée par le gouvernement français.
Un autre projet-fleuve est déjà en ligne. C’est Love Together (a confined suite), morceau enveloppant de près de 10 minutes, aux riches sinuosités jazz et soul, dans un clip baigné par la lumière de lune. Au total, 20 artistes ont participé sous l’impulsion de la chanteuse et actrice Sandra Nkaké, épaulée par son complice Jî Drû. On trouve au casting Anne Paceo, artiste de l’année aux Victoires du Jazz 2019, l’électron libre Thomas de Pourquery ou encore Pascal Danaë, leader de Delgrès, fusion heavy-blues et créole.
« Ça part d’une conviction profonde : il faut remettre la communauté au centre de la création, ne pas rester enfermés dans nos têtes. Et de l’envie que des amis se croisent », décortique Sandra Nkaké. « On est partis des thèmes du combat collectif et de l’amour, puis on a envoyé une maquette en disant ‘on t’imagine bien là, mais libre à toi d’inventer, réinterpréter’ « , poursuit-elle. Les contraintes du confinement ont parfois joué. Anne Paceo, batteuse privée de ses percussions, a donné dans la formule piano-voix.
À l’arrivée, « le morceau, dans sa structure harmonique, a changé, c’est assez magique », se félicite Sandra Nkaké. Pascal Danaë, ami de longue date de l’initiatrice, a accepté les yeux fermés « ce pari un peu fou » : « Avec les indications de Sandra – dont j’aime la prise de risque – j’ai posé ma guitare en pensant à la direction que la chanson pourrait prendre ». « C’est comme envoyer des ingrédients à un chef et voir quel plat va sortir », compare-t-il.
Sandra Nkaké puise dans cette expérience des repères pour l’après, « pour se fédérer, car la situation des intermittents va être très difficile ».
AFP/LQ