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Bravant bombes et jihadistes, une artiste syrienne dépeint la violence à Idleb


"Nous ne voyons que du sang, des ténèbres et de la destruction." Les couleurs des dessins s'inspirent, selon l'artiste, de la vie quotidienne des habitants de la région. (photo AFP)

Des obus, du sang et des tabous : à coups de caricatures, ignorant les bombardements du régime, les jihadistes et le qu’en dira-t-on, Amani al-Ali décrit les ténèbres de la vie quotidienne dans la région d’Idleb dans le nord-ouest de la Syrie en guerre.

« Je cherche à communiquer ce que les autres ont du mal à exprimer », explique l’artiste de 30 ans, dans son atelier, penchée sur une tablette stylo numérique à la main. Dominée par les jihadistes, la région d’Idleb, qui abrite environ trois millions d’habitants, a été soumise pendant trois mois à un déluge de feu du régime syrien et de son allié russe avant l’entrée en vigueur vendredi dernier d’une trêve annoncée par le pouvoir de Bachar al-Assad.

Dans ses caricatures et peintures, Amani al-Ali, longue veste rouge et foulard de dentelle blanche sur la tête, dénonce l’indifférence de la communauté internationale face à l’effusion de sang. Sur l’un des croquis, le monde est ainsi dépeint en forme d’autruche enfouissant sa tête dans un amas de crânes ensanglantés, alors que des missiles rouges pleuvent autour. Un autre dessin intitulé l’Aïd à Idleb montre un avion de combat larguant des bonbons remplis de TNT au lieu des confiseries habituellement distribuées durant la fête marquant la fin du mois de jeûne musulman du ramadan.

Noir et blanc, tâches rouges… les couleurs des dessins s’inspirent, selon l’artiste, de la vie quotidienne des habitants de la région. « Nous ne voyons que du sang, des ténèbres et de la destruction », déplore-t-elle. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, 790 civils dont plus de 190 enfants ont été tués depuis fin avril dans les bombardements dans la région d’Idleb. Et ce malgré un accord conclu en septembre entre la Russie, allié d’Assad, et la Turquie, parrain de certains groupes rebelles. Amani al-Ali a épinglé ce pacte en l’esquissant sous forme de papier taché de sang.

Devenue une cible

Avant le déclenchement de la guerre en 2011, la jeune femme était enseignante d’arts dans une école privée à Idleb. Mais après la conquête de la région par des groupes rebelles en 2015, elle décide de « commencer une nouvelle vie » en s’essayant à la caricature pour dépeindre les réalités d’une guerre qui a fait plus de 370 000 morts et poussé des millions de personnes à la fuite. L’artiste, dont les croquis ont été exposés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, a réalisé ses premiers dessins en cachette car son père lui interdisait cette activité. « J’ai rompu avec les coutumes et la tradition » et dû « affronter mes parents pour imposer la vie que je voulais », raconte-t-elle, regrettant qu’il soit mal vu dans sa société pour une femme de s’adonner à la caricature.

Dans ses œuvres, Amani al-Ali n’épargne pas les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda) qui dominent la région d’Idleb, faisant fi des arrestations et assassinats ciblant les voix dissidentes. « Beaucoup de gens me disent que je devrais faire attention », admet l’artiste. L’un de ses dessins représente un homme barbu injectant à travers une seringue géante les interdits religieux dans le crâne d’un autre homme. « Ce que j’entends le plus, c’est que je suis une femme et que je ne devrais pas dessiner de telles choses », dit celle qui pense avoir autant de fans que d’ennemis et se réjouit de voir son travail et son courage loués à l’étranger.  »

LQ/AFP