Dans Bonbon désespéré, un nouveau et très réussi roman de Vincent Ravalec, un écrivain raté se retrouve à vivre une histoire qu’il a déjà écrite. La connaissant, donc, pourra-t-il en modifier l’issue? L’auteur brouille ici les frontières entre fiction et réalité, et mêle habilement littérature, surnaturel et caricature. Une confiserie originale.
Il a la réputation d’être un touche-à-tout – ce qui n’est pas très bien vu dans le monde des arts et lettres français où l’on donne du titre de chevalier plus facilement à un flatteur qu’à un curieux. Vincent Ra valec, 53 ans aujourd’hui, a écrit treize romans et huit recueils de nouvelles. Il est aussi réalisateur, scénariste, producteur et revendique des influences tant d’une littérature américaine magnifiée par Carlos Castaneda et Allen Ginsberg que de l’univers de la BD chère à Frank Margerin et Les Humanoïdes associés.
Il a fréquenté de nombreuses maisons d’édition et, ce printemps, il revient avec un enthousiasmant roman, Bonbon désespéré . Un délice sucré salé. Il raconte : « C’est à la fois un polar, un roman d’aventure. Il y a une touche de fantastique, aussi! » On fait les présentations : il y a là un écrivain. Son nom : Pildefer. Son prénom : Origène, comme le théologien des premiers siècles de la chrétienté, considéré comme l’un des Pères de l’Église. Son drame : il n’a jamais été publié. Il bosse dans une bibliothèque, anime des ateliers d’écriture, est fou de littérature…
Trivialement résumé, c’est un écrivain raté… Vous voulez une nouvelle preuve? Facile : ce jour, par un éditeur, il vient de se faire refuser un nouveau manuscrit. Alors, il prend le métro dans Paris. Il entend une conversation. D’abord, il n’y croit pas, s’interroge puis se fait la réflexion : «C’est incroyable!» Oui, car il a la sensation d’être réellement en présence des personnages de son manuscrit (refusé, évidemment), aux propos semblables. Deux femmes : Mathilde et Samantha, «comme dans son roman»…
Le soir, on le retrouve à la gare d’Austerlitz : ça va être encore plus fou, « c’est la scène fondatrice du livre », explique Vincent Ravalec, auteur d’ Un pur moment de rock’n’roll (1992) et Cantique de la racaille (1994). Les filles doivent prendre un train de nuit, destination Coumeyrac, près de Château-les-Eglantiers, une ville du fin fond de la France.
Une série de cinq livres autour de la création
« Il attend, personne ne vient , dit Vincent Ravalec. Et puis d’un seul coup, il tourne la tête, il voit ses personnages qui arrivent et il va prendre le train avec eux. À partir de là, il est pris dans une histoire ébouriffante : il se retrouve dans une petite ville de province perdue, il n’y a pas d’internet, pas de télé, pas de téléphone, ils sont coupés de tout. Des malfrats commencent à prendre en otage la ville, ça se passe sur une nuit, une tempête se lève et lui, il ne va avoir qu’une idée en tête, cette histoire qu’il a écrite, qu’elle se finisse bien… »
Parce que cet écrivain raté, pas publié, connaît l’histoire – il l’a écrite. Parce que cet écrivain raté, pas publié, se demande comment il peut intervenir sur celle-ci… Voilà, on est bien chez Vincent Ravalec. Un monde où, sur la place de l’église où trône un immense bonbon, l’on croise «des notables qui veulent faire revivre une région, de jolies filles en danger, un gourou portugais, un faux trésor, de vrais méchants, et un héros pour les combattre».
Un univers où un écrivain raté (se) pose des questions essentielles, parmi lesquelles : «Comment est-on impacté par la réalité, et inversement? Le lecteur n’aurait-il pas, lui aussi, son mot à dire dans cette histoire? Après tout, il en est aussi acteur… Mais si, après tout, tout était déjà écrit, ce qu’on pourrait appeler le «déjà-vu»… Avec ce Bonbon désespéré , Vincent Ravalec nous ravit : il a retrouvé la grande forme. Celle qui permet de se lancer à l’assaut de toute situation absurde, de tout gag détraqué, de laisser libre cours à l’imagination, de lâcher totalement prise pour se laisser embarquer vers une destination inattendue et folle!
Ce Bonbon désespéré , on ne peut se retenir d’en avaler, d’en savourer en quantité même pas raisonnable… Mieux : l’auteur annonce que ce roman serait le premier d’une série de cinq livres avec un peintre dans le deuxième, puis un musicien, un sculpteur et, dans le cinquième tome, « ils se retrouveraient tous ensemble , précise-t-il. Ça ferait une espèce de gang de superhéros. De superhéros artistiques! »
Serge Bressan
Bonbon désespéré , de Vincent Ravalec. Éditions du Rocher.