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[Biopic] Le mythe de la danse, Noureev, fait un saut sur grand écran


"Noureev a été un visage de la Guerre froide, des rebelles années 60 mais aussi des années sida." (archives AFP)

Il est le danseur le plus célèbre de l’histoire moderne, véritable rock star au-delà du monde du ballet et protagoniste de la défection la plus médiatisée de la Guerre froide. Plus de 26 ans après sa mort à Paris, Rudolf Noureev continue d’inspirer écrivains et cinéastes.

Comme Ralph Fiennes et son très attendu White Crow, premier biopic au cinéma sur cette superstar du ballet. Le film, encore sans distributeur en France, a été projeté à Paris fin janvier au festival L’Industrie du rêve et sort en Grande-Bretagne le 22 mars.

« Je voudrais rester dans votre pays » : avec cette simple phrase à l’aéroport du Bourget, près de Paris, le 16 juin 1961, le danseur soviétique de 23 ans échappe à ses gardes du KGB et entre dans l’Histoire. Le film immortalise la scène extraordinaire où, face à des membres du KGB paniqués essayant de retenir Noureev (joué par le danseur ukrainien Oleg Ivenko), un officier français s’interpose et lance un « On est en France ici ! », résumant la dimension politique de ce passage à l’Ouest. « Le grand saut vers la liberté », titre le lendemain la presse internationale qui y a vu une victoire du « monde libre », l’année de la construction du mur de Berlin et du voyage de Gagarine dans l’espace.

« Meilleur ambassadeur de la danse »

« Il a été un traître pour l’Union soviétique mais le meilleur ambassadeur de la danse russe », affirme Ariane Dollfus, auteure de la biographie Noureev L’insoumis. Lors de la fameuse tournée parisienne du Kirov de Léningrad (actuel Mariinsky de Saint-Pétersbourg), Noureev provoque l’ire du KGB en sortant avec ses nouveaux amis parisiens le danseur Pierre Lacotte (Raphaël Personnaz) plus connu comme chorégraphe, mais aussi Clara Saint (Adèle Exarchopoulos), ex-fiancée d’un fils d’André Malraux, alors ministre de la Culture.

Fondé sur la biographie de Julie Kavanagh, le film est ponctué de flashbacks : la naissance de ce fils de Tatars musulmans à bord du Transsibérien, la misère et la faim à Oufa, dans l’ouest russe, et un père dur opposé à ce que son fils danse. Enfant, « Rudik » n’avait pas de chaussures pour aller à l’école. Après sa mort, une de ses paires de chaussons de danse est vendue à 9 200 dollars. Il y a aussi ses débuts dans l’actuelle Académie Vaganova où il rencontre son mentor, le professeur de ballet Alexandre Pouchkine, interprété avec brio, et en russe, par Ralph Fiennes.

Noureev aura une liaison avec la femme de Pouchkine et avec un jeune danseur, Teja Kremke. « Il n’a jamais fait son coming out mais n’a jamais caché son homosexualité », une fois en Occident, selon Ariane Dollfus. « Noureev a été un visage de la Guerre froide, des rebelles années 60 mais aussi des années sida. » La maladie emporta la star à 54 ans le 6 janvier 1993.

Coups de sang légendaires

Le film montre aussi certains de ses légendaires coups de sang… « Une fois, il a jeté un thermos sur la tête d’une ballerine », affirme Ariane Dollfus. Une ancienne ballerine anglaise Beryl Grey, a évoqué comment il pouvait soudainement entrer dans une rage folle, la menaçant une fois avec un couteau. Le film n’évoque pas la suite de sa carrière internationale et du couple qu’il a formé sur scène avec la grande ballerine britannique Margot Fonteyn.

« La première fois que je l’ai vu danser, j’étais secouée », affirme Brigitte Lefèvre, ex-directrice de la danse à l’Opéra de Paris (1995-2014). Noureev, qui a valorisé le rôle du danseur dans des ballets qui donnent la primauté aux ballerines, a revisité des classiques un peu partout dans le monde, dont à l’Opéra de Paris où il a renouvelé une grande partie du répertoire. La compagnie qu’il a dirigée (1983-1989) redonne sa version du Lac des Cygnes à partir du 16 février. « Il a fait cette fusion entre la danse russe et la compagnie française », estime Brigitte Lefèvre, soulignant la « technique très exigeante » de ses chorégraphies.

En Russie, où il n’est autorisé à retourner qu’en 1987 pour revoir sa mère mourante et ne fut réhabilité qu’après sa mort, son personnage divise toujours : en 2017, la première du ballet Noureev au Bolchoï de Kirill Serebrennikov, aujourd’hui assigné à résidence, avait été retardé de six mois après une controverse sur une photo du danseur nu.

LQ/AFP