En mai, Mike Bourscheid investira le pavillon luxembourgeois à la biennale de Venise. Lundi, au Casino, il a présenté son projet, à la fois intime et personnel, qui s’amuse des mœurs sociales.
Que cela soit à travers les costumes, les objets domestiques détournés, les pièces musicales ou encore les performances, Mike Bourscheid raconte, sur un mode enjoué, des histoires sur l’identité, le genre et l’héritage familial. Son projet,intitulé «Thank you so much for the flowers», en est un condensé.
Né à Esch-sur-Alzette, puis passé par la France et l’Allemagne avant de poser ses guêtres à Vancouver (Canada) pour « poursuivre son histoire d’amour » entamée à Berlin, à l’École supérieure des Beaux-Arts : le parcours de Mike Bourscheid semble d’un classicisme ordinaire pour tout natif du Luxembourg aux envies dévorantes. Pourtant, avec lui, mieux vaut se méfier des images d’Épinal. Un robuste gaillard, certes, avec casquette et chaîne traînant sur la poitrine, mais qui s’adonne au ballet et à la couture. Sans oublier cette fine petite moustache, qui trahit des élans facétieux et une ironie mordante.
Retenu parmi 24 candidats pour représenter le Grand-Duché à la prochaine biennale de Venise – le must dans l’art contemporain –, le garçon de 33 ans n’a pas trahi son esprit badin et sa tendance à la blague, provocatrice et sérieuse à la fois. Ainsi, il présentera en mai, à la Ca’ del Duca, «Thank you so much for the flowers», comme il l’a dévoilé lundi au Casino, partenaire de l’aventure qu’il partage également avec Stilbé Schroeder, commissaire de ladite exposition. « C’est un honneur et une jolie surprise que d’aller à Venise, lâche-t-il, sourire en coin. Ouais, c’est vraiment cool! »
S’ensuit une démonstration, photographies à l’appui (son médium de formation), de son étonnante approche artistique qui – à travers d’étranges costumes et des objets détournés que l’on dirait tirés d’un conte, des poses bizarres et autres prédispositions à la musique et à la mise en scène – questionne, pêle-mêle, les notions de genre, de conventions sociales, d’identité et d’héritage qui le touchent en personne. Pour preuve, en 2012, alors qu’il découvre sa nouvelle patrie, il cherche à dépasser les barrières culturelles en imitant le son des oies canadiennes à l’aide d’un instrument fabriqué à cet effet, dans une performance tout en autodérision ( Der Hammel von Kouver – Introducing myself to the Canada Geese ). Vous avez dit dada?
Cinq pièces, cinq atmosphères
Comme il n’est jamais évident de se mettre à nu et d’évoquer des « choses personnelles », l’artiste cherche la parade, passant par l’humour, la tendresse, mais aussi la fiction. « Je raconte des histoires, je développe des personnages », dit-il pour justifier sa démarche, qui n’a qu’une seule préoccupation : souligner les réalités sociales et politiques pour mieux les dénoncer ou mieux les esquiver. Une conception qui articulera son exposition vénitienne, avec une Ca’ del Duca aux allures d’appartement – l’artiste a été influencé par la présence des locataires occupant cette même unité architecturale. Là, chacune des cinq pièces aura sa fonction, son humeur, puisant leurs sources dans l’histoire de l’art, la haute couture, les costumes sculptures de théâtre et autres déguisements.
Ainsi, dès l’entrée du pavillon, les visiteurs seront confrontés à un long corridor revêtu de panneaux en bouleau et d’anciens moules à biscuits en bois, préambules à un curieux fouillis de coutumes familiales et sociales. Le tout porté par une délicate odeur de cookies… Plus loin, The Goldbird Variations (2016), œuvre emblématique de Mike Bourscheid qui fait «r éférence » à Glenn Gould, « incontournable » au Canada, rappellera ses tendances pour la performance et le travestissement – l’artiste-acteur devrait d’ailleurs «animer», par sa présence, plusieurs fois le pavillon.
Dans d’autres pièces, une série de tabliers ornés et fabriqués à partir de cuir, d’acier, de cheveux, d’œufs, de rubans et de flûtes à bec côtoieront des murs ornés d’impressions faites avec des tampons en pommes de terre, décor révélant deux «marionnettes» affublées de deux énormes têtes rose et argentée ( So stell ich mir Liebe vor – C’est ainsi que je conçois l’amour ) en guise d’hommage à l’histoire de ses parents et aux décisions qu’ils ont dû prendre.
Bref, dans un original jeu de corps, en équilibre entre masculin et féminin, entre histoires réelles et fictives, entre héritage familial et accomplissement de soi, Mike Bourscheid joue sur le terrain mouvant de ce trouble qui, au final, peut redéfinir nos limites. C’est aussi pour cela qu’il compte concevoir un pavillon où il convient de prendre son temps, afin que le visiteur lambda puisse se redécouvrir et se redéfinir. Comme il le fait lui-même à chacune de ses œuvres.
Grégory Cimatti
Pavillon du Luxembourg. Ca’ del Duca – Venise. Ouverture officielle le 13 mai. www.luxembourgpavilion.lu
La 57 e biennale de Venise se déroulera jusqu’au 26 novembre. www.labiennale.org