Enfant terrible du cinéma britannique, Ben Wheatley sort ce mercredi son dixième film, Meg 2 : The Trench, qui est aussi son premier blockbuster. Parcours d’un auteur sans concession.
À la suite des jolis succès-surprises à l’international de High-Rise (2015) et Free Fire (2016), la féroce envie de Ben Wheatley de rester un auteur indépendant n’est pas un frein à son ambition de construire une filmographie unique, joyeusement exubérante et qui embrasse tous les genres et formats.
Surtout, le cinéaste britannique sait se montrer imprévisible d’un film à l’autre, dans la lignée de ses aînés des années 1970. Parmi ses références, on peut citer Alan Clarke, dont il porte l’héritage d’un réalisme social cru et excessif, et davantage encore la liberté de ton combinée à un imaginaire visuel délirant qui fut la marque de fabrique, chacun à leur manière, de Nicolas Roeg,
Ken Russell et John Boorman. À l’image de ceux qu’il considère comme la «Sainte-Trinité» de sa cinéphilie, Wheatley a cédé au chant des sirènes des grands studios et sort, à 51 ans, son dixième long métrage et premier blockbuster, Meg 2 : The Trench, suite du film sorti en 2018 dans lequel l’«action hero» Jason Statham affronte ni plus ni moins qu’un mégalodon.
Free Fire, comédie de gangsters confinée entre les murs d’un hangar, théâtre d’une fusillade longue de plus d’une heure, était le premier contact de Wheatley avec l’action pure. C’est à un autre niveau de responsabilité qu’il l’expérimente à nouveau sur Meg 2, selon lui «une opportunité de faire de l’action à une échelle incroyablement grande».
Ce nouveau film, il le définit au magazine britannique Total Film comme «un plein de pop-corn et de plaisir». «C’est quelque chose que je souhaitais faire : la possibilité de parler à un public aussi large.» Ce fan de films de monstres développe depuis de nombreuses années sa propre superproduction de superhéros, Freak Shift, un film entièrement imaginé avec Amy Jump, sa coscénariste et compagne.
Meg 2, dont le budget est estimé à 175 millions de dollars – soit «plus de dix fois le coût de tous mes précédents films réunis», glisse Ben Wheatley –, est à voir comme une expérience formatrice pour celui qui a abordé le projet avec une règle d’or qu’il applique depuis qu’il sait tenir une caméra : que chaque centime dépensé soit visible à l’écran.
Ses débuts au cinéma, cet amoureux de films de genre les a faits tardivement, à l’approche de la quarantaine, avec le thriller déchaîné Down Terrace (2009), autofinancé (donc fauché) et tourné en quinze jours dans la maison d’un ami. «Un moment après l’autre, et sans que rien soit jamais tenu pour acquis», Ben Wheatley a formé une œuvre parmi les plus excitantes de l’époque.
Kill List (2011), qui mélange une sombre histoire de tueur à gages et une plongée infernale au cœur d’une secte, s’est imposé comme un phénomène dans les festivals dédiés au cinéma d’horreur autour du monde. Et Sightseers (2012), géniale comédie d’horreur qui suit l’odyssée sanglante d’un couple de randonneurs à travers la campagne du nord de l’Angleterre, est devenu sa carte de visite pour ses projets plus ambitieux, en même temps qu’il se pose comme l’antithèse de son précédent film.
Jusqu’à Rebecca (2020), son adaptation du roman de Daphne Du Maurier produite par Netflix, sa filmographie voguait exclusivement entre petits et microbudgets – y compris High-Rise, adapté du roman de science-fiction postmoderne de J. G. Ballard, son film le plus impressionnant en termes de décors, de casting, de costumes et d’esthétique.
Une façon de «se reconnecter aux choses», juge ce natif d’un village de campagne de l’Essex et domicilié à Brighton, loin de la cacophonie londonienne. Son cinéma sans concessions en est la preuve : l’un des sommets de son art a coûté à peine 300 000 livres sterling (environ 350 000 euros) et s’intitule A Field in England (2013), un film d’horreur folklorique sous champignons hallucinogènes, entièrement tourné en extérieur, en costumes (l’intrigue se déroule au XVIIe siècle), en noir et blanc et en vieil anglais.
Une bizarrerie qui a permis d’établir à son auteur un postulat définitif : «On peut dire que certains de mes films sont à petit budget, mais ils sont parfaitement budgétés. Nous avons toujours le juste montant pour faire les choses que nous voulons, c’est juste qu’elles sont très précises.»
Avant l’aventure Meg 2, le nom de Ben Wheatley a été prêté à plusieurs superproductions, dont une nouvelle adaptation du jeu vidéo Tomb Raider. Un projet tombé à l’eau lorsque la pandémie est arrivée, et après elle la proposition du film de requin géant, dont Wheatley a réalisé le storyboard en confinement.
Mais pas seulement : véritable bourreau de travail, le cinéaste a répondu à l’enfermement forcé lié au covid… en réalisant un film d’horreur «express», écrit et tourné en l’espace de quinze jours en août 2020, avec six acteurs et une équipe technique composée pratiquement du seul Ben Wheatley.
In the Earth est un autre tour de force pour cet auteur qui compte parmi les grands expérimentateurs formels du cinéma actuel, comme en attestent les visions psychédéliques qui sont le point d’orgue du film, mais aussi sa façon de s’emparer des règles sanitaires en les mettant à profit de l’expérience cinématographique.
Aucun doute que Ben Wheatley retournera, tôt ou tard, aux plus petits budgets. En attendant, Meg 2 reste une façon pour lui d’insérer tous les éléments qui font son cinéma dans une forme d’expérience différente, celle qui sera partagée par le grand public.
«Beaucoup de réalisateurs procèdent sur le modèle : « Un pour eux, un pour moi »», dit Wheatley, faisant référence à ses homologues qui s’engagent sur des films colossaux dans le but de financer leurs projets plus personnels. «Je ne crois pas à cela. Je crois que c’est « tout pour moi », en réalité, à la différence qu’avec certains (films), je peux user de plus d’obscurité et d’ésotérisme, tandis que d’autres peuvent être appréciés par tout le monde.»
Meg 2 : The Trench, de Ben Wheatley.