Philippe Boxho, médecin légiste officiant à Liège, est devenu en trois livres un phénomène d’édition en Belgique, en France et en Suisse. Son credo ? Donner la parole aux morts dans une série d’histoires courtes, crues et drôles. Âmes sensibles, s’abstenir !
«Pourquoi ne rirait-on pas de la mort ?». Un médecin légiste belge, Philippe Boxho, se pose la question et franchit le pas, racontant ses autopsies avec un humour grinçant dans des livres qui passionnent le public et lui permettent aussi de vulgariser un métier mal connu. À 59 ans, dont 33 ans d’exercice de cette spécialité dans la région de Liège (est du pays), ce dernier a manipulé des centaines de cadavres, et mis au jour des cas d’homicide qui n’auraient sans doute jamais été découverts sans ses observations minutieuses.
La recette gagnante de l’auteur : une série d’histoires courtes – «quinze pages maximum», percutantes et parfois très crues, toutes piochées dans son expérience du terrain. Ce qu’il décrit comme «l’excitation à participer au début de l’enquête», quand un corps sans vie est découvert et qu’il enfile gants de vaisselle – «bien plus résistants» – et combinaison blanche pour l’examiner à la demande d’un magistrat. Il s’agit alors de «donner la parole au corps une dernière fois».
Et les conclusions du légiste peuvent révéler des circonstances de décès pour le moins surprenantes, comme le cas de cette sexagénaire égorgée par le pitbull de son fils en allant le nourrir, ce qu’elle faisait très rarement. Ou celui, encore, d’un fermier piégé dans l’étable par un taureau qu’il ne voit pas surgir. Les multiples fractures des membres et du tronc prouvent que l’homme a été «piétiné» par une bête pesant 1,2 tonne. Impossible d’y survivre.
Pourquoi ne rirait-on pas de la mort?
En 2021, après le succès d’une vidéo de la chaîne RTBF lui faisant raconter «trois enquêtes extraordinaires», il a été convaincu de mettre par écrit des histoires qu’il réservait jusqu’alors à ses étudiants de la faculté de médecine. Résultat : un carton en librairie, avec quelque 740 000 exemplaires vendus des trois livres qu’il vient d’enchaîner, dont près de 200 000 en six semaines pour le dernier, La Mort en face, sorti fin août. «C’est du jamais vu pour de la non-fiction», assure une porte-parole de Kennes, une PME wallonne de l’édition qui battait de l’aile avant de trouver son écrivain providentiel.
En 2024, le succès s’est même étendu à la France. La Mort en face s’affichait ainsi lors la première semaine d’octobre troisième meilleure vente de la catégorie «essais» au classement GfK/Livres Hebdo. Une édition en anglais est en cours de négociations. À l’ère du smartphone tout-puissant, Philippe Boxho semble avoir converti au livre beaucoup de gens qui n’en lisaient pas ou très peu. Ce soir-là, il fait d’ailleurs salle comble pour la conférence qu’il donne avant une séance de dédicaces, à Blegny, sur le site d’une ancienne cité minière, près de Liège.
«C’est passionnant de l’écouter parler, parce qu’il est passionné par ce qu’il fait», déclare Marie Lou Collard, qui a pris place dans le public. Cette étudiante en sciences politiques dit avoir découvert le Dr Boxho sur TikTok et YouTube avant de se plonger dans ses essais. «Je respecte le cadavre que j’ai devant moi, bien que je ne le connaisse pas. Ce dont je ris, c’est de la mort et de la manière de mourir», souligne le Dr Boxho. «C’est un peu cynique, c’est ma façon d’être. Ceux à qui ça ne plaît pas ne sont obligés de me lire.»
Dans toutes ses histoires, parfois vieilles de plusieurs décennies, les identités ont été changées pour ne pas enfreindre le secret médical, selon lui. Il est souvent question de féminicide, parfois de parricide, comme dans ce cas que le médecin s’amuse à exposer au public de Blegny : une nuit, une jeune femme vient surprendre son père alité pour lui tirer dessus au revolver. Elle est déterminée et vide le chargeur, ne lui laissant aucune chance d’en réchapper.
L’autopsie révélera qu’avant les coups de feu, «l’homme était déjà mort, d’une hémorragie cérébrale», explique le praticien. Par conséquent, sa fille n’est pas condamnable. «Le droit pénal a besoin de certitudes», appuie le Dr Boxho. Dans son propos se glisse un appel à soutenir la médecine légale pour une meilleure justice. «En 2020, nous étions 42 médecins légistes en Belgique. Aujourd’hui, on n’est plus que 24. Il est temps de faire quelque chose.»