Pour son premier ouvrage, Jade Khoo dévoile une fable initiatique façon manga. Elle y suit le sillage humide d’une jeune fille à l’étrange pouvoir, qui cherche à se faire une place dans le monde.
Avec Jade Khoo, il s’agit de ne pas trop parler, mais plutôt de regarder. Pour son premier ouvrage, Zoc, elle confirme cette propension pour la retenue : de beaux paysages qui s’étalent au fil des pages, des personnages qui avancent d’un pas tranquille, et une atmosphère qui mêle fantastique et poésie, auprès duquel on s’abandonne facilement. Tout tient de la sobriété, jusqu’à la quatrième de couverture qui préfère laisser parler l’image plutôt que le texte. Idem pour son verso, représentant une jeune fille au nœud papillon blanc, petit bout de femme un peu perdue dans une nature verdoyante s’étalant à perte de vue.
Zoc est en effet un peu paumée, comme beaucoup d’adolescentes de son âge. Des tourments qui se manifestent en famille (sa mère n’étant plus là), à l’école (avec le conseiller d’orientation) et de manière générale, dans sa relation avec les autres. C’est qu’elle n’est pas, justement comme tout le monde, et trimballe (c’est le cas de le dire) un drôle de pouvoir : dès que sa chevelure entre en contact avec l’eau, elle la retient, même en grande quantité… Alors, don ou malédiction? Telle est la question à laquelle va tenter répondre la jeune fille, bien décidée à se faire une place dans le monde.
Oui, c’est à un récit initiatique que convie l’auteure, 21 ans à peine, dans le sillage humide de son héroïne, convaincue que sa faculté pourrait servir quelque part, durant des inondations par exemple. Sur son chemin, elle va découvrir des agriculteurs, écologistes et chasseurs furieux (car traîner de l’eau a des effets néfastes sur les endroits qu’elle traverse) et s’enchanter à croiser les «chatelets», sorte d’oiseaux-troubadours qu’elle adule. Surtout, elle va y faire la rencontre d’un jeune garçon, Kael, son double, tout aussi seul qu’elle et également tributaire d’un étrange pouvoir…
L’œuvre de Jade Khoo ramène à une évidence : l’influence des films du studio Ghibli et Hayao Miyazaki
On l’a compris, l’univers de Jade Khoo n’a rien de conventionnel, ce qui lui permet de mieux glisser tous les arguments d’une fable initiatique «traditionnelle» : la quête d’identité et de sens, la solitude (et son pendant, l’amitié), l’acceptation des différences, le regard des autres, la liberté… Car si Zoc joue avec nos sentiments, il le fait de manière subtile : il y a d’abord ce rythme un peu cotonneux, favorisant la contemplation. Un côté onirique qui ne tient pas qu’à ce seul temps suspendu, mais aussi à une technique : l’usage de couleurs tranchantes qui s’étalent sur de grandes images, où les paroles sont superflues.
Un geste qui rappelle la formation de l’auteure, passée par la prestigieuse école Gobelins. Sur le site de Dargaud, on apprend ainsi qu’elle y a suivi des études de cinéma d’animation, travaillant principalement comme «layout artist» (soit quelqu’un qui épluche le storyboard pour décomposer chacun des plans afin de les mettre en mouvement). Rien d’étonnant de la voir ici maîtriser autant les plans, les cadrages et les profondeurs de champs, intelligents et dynamiques, dans une mise en scène clairement cinématographique.
Avec ses traits ronds, ses personnages aux gros yeux mouillés et son univers insolite, l’œuvre de Jade Khoo ramène pour le coup à une autre évidence : l’influence des films du studio Ghibli et son plus noble représentant, Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké…). Tout rapporte à ces œuvres, aériennes et proches de la rêverie. Mais évitons les trop pesantes références et laissons le temps à Jade Khoo pour grandir. Comme son héroïne, elle trouvera sa voie, à coup sûr, avec un style singulier et de belles trouvailles graphiques. Son superpouvoir à elle.
Zoc, de Jade Khoo. Dargaud.
L’histoire
Zoc est une jeune fille d’apparence normale. Elle ne sait pas quoi faire de sa vie, elle n’a pas de réelle passion, mais possède un drôle de pouvoir : capter et puiser l’eau avec ses cheveux! Une faculté inutile et embêtante, dont elle va tout de même essayer de tirer parti. Quand un village près de chez elle subit une vaste inondation, elle décide de rendre service en évacuant l’eau… Ce voyage lui permettra de faire une rencontre étonnante, et Zoc s’apercevra qu’en voulant aider des gens, elle peut créer d’autres problèmes…