Dans J’perds pas la boule, l’ex-footballeur passé par Lyon, Paris, Milan et les Bleus évoque, avec humour, ses souvenirs et anecdotes sous le trait survolté d’Émilie Gleason.
Je m’appelle Vikash Dhorasoo. Je suis un ex-footballeur pro…» Dès la première case, l’auteur, qui fait là ses premiers pas dans la BD, ne cache rien de ses ambitions : parler de lui et de ses nombreuses années à fréquenter le milieu du football, riche en anecdotes. D’ailleurs, qui est-il vraiment? Les plus jeunes auront peut-être vu sur YouTube sa praline décochée après une course folle, en finale de la Coupe de France 2006, contre Marseille, donnant la victoire au PSG (2-1) – qui le licenciera, fait rare, quelques mois plus tard.
D’autres se souviendront également de sa Coupe du monde, la même année, à ronger son frein sur le banc, troquant alors la chasuble fluorescente pour la caméra Super 8 (Substitute, coréalisé avec Fred Poulet). Ce serait oublier l’élégant joueur qu’il a été, adepte de la passe millimétrée, laissant la finition à d’autres, notamment lors des prémices du règne lyonnais dans le championnat français. Oui, l’homme préfère l’ombre à la lumière. Un altruiste (sauf quand il joue au poker), façonné dans un univers qui, paradoxalement, oublie les vertus du collectif pour célébrer la vedette.
Un personnage singulier
Lui n’est pas une vedette, et n’a jamais voulu l’être. D’où aussi ses réguliers élans associatifs, politiques même (il était cette année candidat à la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris, sous la bannière «France insoumise»). Certains d’entre eux, notables, restent proches de son univers de prédilection : le ballon rond, qu’il rêve plus «festif et durable», comme à travers le mouvement citoyen «Tatane» qu’il a initié.
Oui, Vikash Dhorasoo est un personnage singulier, dénotant dans un monde du football désengagé et ronflant. Une originalité qu’il porte jusque dans ses origines indo-mauriciennes, qu’il souligne dans cet ouvrage : ces films, aujourd’hui estampillés «Bollywood», qu’il regarde en famille sans rien y comprendre; sa rencontre nocturne avec Yannick Noah; le racisme ordinaire qu’il vit en Italie, quand on le prend pour un mendiant ou un migrant, ou en France, quand il est plaqué au sol par deux policiers. Rien d’étonnant, donc, de l’avoir vu, récemment, à l’affiche de la comédie Tout simplement noir, ou participer au bâchage de la statut du général Gallieni, une figure du colonialisme.
Mais J’perds pas la boule – premier livre de création française des séduisantes éditions Revival – évite les terrains trop militants, pour se concentrer sur le gag, concentré ici sur une ou deux pages. C’est direct, condensé, et terriblement mis en images. L’œuvre d’Émilie Gleason, prix révélation au festival d’Angoulême l’année dernière pour Ted, drôle de coco (Atrabile).
De Domenech à Berlusconi
Avec elle, les cases regorgent de couleurs et de figures cabossées, aux bras démesurés et aux jambes élastiques. Un style inimitable, entre cartoon et surréalisme à la Tex Avery, qui s’amuse des proportions et fait dans l’explosif. Son trait naïf ramène même à une certaine innocence, un côté enfantin qui accompagne ce déballage.
Dans les vestiaires de Vikash Dhorasoo, depuis ses premières foulées au Havre jusqu’à l’épopée manquée avec les Bleus, on croise du beau monde : Raymond Domenech, Bernard Lacombe, Carlo Ancelotti, Sidney Govou, Graham Rix, Pierre Haon, Souleymane Diawara, Silvio Berlusconi, Bertrand Delanoë (qui le croit italien!), Nicolas Sarkozy… Il dresse ainsi, avec humour, un large portrait de copains, joueurs loufoques, fans transis ou politiciens. Sans oublier les entraîneurs bizarroïdes, dont Denis Troch, fan des «longueurs-largeurs», tout autant célèbre pour ses remarquables moustaches que pour sa rigueur inflexible.
Il s’attarde aussi sur son passage au Milan AC, alors que l’épisode de la Coupe du monde, «sommet» de sa carrière, tient à une histoire d’alliance récalcitrante, et à huit minutes de jeu au total… Un symbole à l’image du personnage : discret, certes, mais toujours en mouvement.
J’perds pas la boule, de Vikash Dhorasoo et Émilie Gleason.
Revival.
Grégory Cimatti
Des idées en pagaille pour changer le foot
C’est en 2011 que Vikash Dhorasoo a eu l’idée du mouvement collectif «Tatane» («chaussure» dans le langage populaire), qui prêche un football «festif» et «durable» et compte aujourd’hui environ 5 000 membres (dont Emmanuel Petit, François Bégaudeau, Thierry Frémaux, Vincent Delerm, Daniel Cohn-Bendit…).
L’idée est louable : remettre le jeu, la politique publique et la démocratie participative au centre des débats. Deux ouvrages malins (et collectifs) naissent de cet élan nécessaire, tous deux édités chez Gallimard : un premier plus ramassé (2014), avec quatre dessinateurs (Pénélope Bagieu, Charles Berberian, Jul et Guillaume Bouzard) chargés de créer une illustration en contrepoint de 50 règles alternatives. Un second plus fourni, avec d’autres propositions illustrées par Néjib (2018).
Des idées «joyeuses», poétiques et sensibles, prônant l’égalité des sexes, le bénévolat, l’éducation, la culture, la citoyenneté, l’imagination, le fair-play, le respect des supporters… De malicieuses contributions dont l’UEFA, la FIFA ou les fédérations nationales devraient s’inspirer, alors qu’actuellement la question est de savoir si on passe à cinq remplaçants…
Car oui, les « corps ont un cerveau » et il est possible de «penser avec les pieds». C’est «Tatane» qui le dit!
G. C.