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[BD] Vie et mort du Velvet Underground


Tout dans le livre de Koren Shadmi invite à replonger avec plaisir dans les coulisses de ce groupe à nul autre pareil. (Photo : la boîte à bulles)

Koren Shadmi retrace la trajectoire chaotique et fugace du célèbre groupe de New York, vue à la hauteur de ses deux leaders tourmentés et de son promoteur avant-gardiste.

L’histoire

Issu de la scène artistique du New York de la fin des années 60 et porté par l’esprit brillant et indompté de ses membres fondateurs, Lou Reed et John Cale, le Velvet Underground compte aujourd’hui parmi les légendes du rock. Mais il n’en a pas toujours été ainsi… Voici l’histoire tumultueuse de ce groupe, le «plus influent de notre époque», selon le New York Times.

Koren Shadmi aime raconter des histoires, surtout des biographies comme celles de Rod Serling (créateur de la série La Quatrième Dimension) et de Béla Lugosi (l’acteur qui incarna Dracula à Hollywood). Après la télévision et le cinéma, il s’attaque ce coup-ci, fan de rock qu’il est, à la musique et à d’autres phénomènes : le quatuor du Velvet Underground. Parce que lorsqu’il est tombé, jeune adulte, sur leur chef-d’œuvre de 1967 (le fameux album «à la banane»), il reconnaît n’avoir «jamais rien entendu de tel». Et que tout ce qu’il a écouté par la suite, ses multiples références, avait «une dette» envers ce groupe, vu aujourd’hui, à juste titre, comme l’un des plus influents depuis un demi-siècle.

Une folle équipe (à laquelle s’ajoute une ex-mannequin, chanteuse épisodique, Nico) qui a déjà eu le droit à un hommage décalé de Prosperi Buri chez Dargaud (2021). Plus fidèle à l’histoire originale et minutieusement renseigné, l’illustrateur plonge lui au cœur de ce collectif anticonformiste, en s’attachant plus particulièrement à ses deux leaders et leurs relations explosives : Lou Reed et John Cale.

On les découvre d’ailleurs en 1987, frères ennemis qui ne se parlent plus, à l’enterrement d’Andy Warhol, star du pop art et promoteur avant-gardiste qui a attisé les flammes créatives de la formation new-yorkaise. Fâchés, c’est pourtant ensemble qu’ils vont, durant cinq petites années (1965-1970), révolutionner le jeu à travers une vision artistique radicale et sans compromission.

Traumatismes de jeunesse

Marginaux, rarement à l’aise avec les autres, pas plus qu’avec eux-mêmes, les deux (nés à une semaine d’écart) partagent un côté farouche, qui s’explique par les traumatismes de jeunesse. On est alors en 1959 : Lou Reed, adolescent provocateur de Long Island, porte la veste en cuir, aime la drogue et le sexe, tous genres confondus. Diagnostiqué schizophrène, on le «répare» à coups d’électrochocs. De l’autre côté de l’Atlantique, au pays de Galles, John Cale, abusé enfant par l’organiste de sa paroisse, lutte avec un père absent et une mère malade. Après une tentative de suicide, il trouve dans le piano et le violon sa «délivrance», filant à Londres au Goldsmith College, décidé à ne pas être «esclave des conventions».

Le premier, nourri à la poésie de Delmore Schwartz, et le second à la musique de John Cage et au mysticisme de La Monte Young se retrouvent à New York, repérés et réunis par le producteur sans scrupules Terry Phillips. Il y aura une première chanson (The Ostrich) enregistrée sous le nom des Primitives. Après d’autres tentatives, ponctuées d’héroïne, de concerts en pleine rue et de galères en tout genre dans le quartier «miteux» du Lower East Side, ils trouvent une forme définitive avec Moe Tucker et Sterling Morrison.

The Velvet Underground (appellation tirée d’un ouvrage traitant de sadomasochisme) était né. Rapidement, ils vont trouver dans la Factory, le studio à tout faire d’Andy Warhol et véritable «moulin» à tarés, le moyen d’assouvir leur soif d’expérimentation.

Ils ne remplaceront personne, à part peut-être le suicide

Entouré de cinéastes, d’artistes, de performers, et pour le coup à la croisée entre la poésie beat et le théâtre, le groupe, à l’opposé du mouvement hippie, est motivé par un désir de choquer et de parler crument de la vie des exclus, décrite avec froideur et crudité. Ce sera sa puissance et ce que retiendra l’Histoire. Ce sera aussi sa faiblesse : The Velvet Underground ne passe pas à la radio, vend mal ses disques et n’arrive pas à capter le public, à l’image de ces commentaires après un concert à Los Angeles où des stars l’étrillent, dont Cher qui dira de ses membres : «Ils ne remplaceront personne, à part peut-être le suicide».

Végétant, la formation se déchire entre ses deux meneurs qui en viennent parfois aux mains. L’un défend une approche rock et pop, l’autre avant-gardiste. Sans oublier le caractère de Lou Reed, tyrannique, paranoïaque et agressif, qui n’aide en rien. Le 23 août 1970, c’en était fini.

Un trait élégant et doux

Tout dans le livre de Koren Shadmi invite à replonger avec plaisir dans les coulisses de ce groupe à nul autre pareil. D’abord, ce trait élégant et doux, aux nuances bleues et violettes. Ensuite, ces anecdotes parfois méconnues (par exemple, celle où Moe Tucker se cache dans un réduit, éprouvée par l’ambiance toxique de la Factory).

Enfin, cette propension à s’immerger dans une époque riche et folle d’un point de vue artistique, avec ses musiciens doux-dingues (dont le truculent Frank Zappa, qui se marrait en voyant débarquer les «toxicos de la côté Est»). Mieux, The Velvet Underground montre comment la création peut aussi se nourrir d’antagonismes, de fractures et de tensions, pour aboutir à un résultat troublant, déroutant même. L’auteur en est convaincu et prie même ceux qui ne l’ont jamais écouté d’«appuyer sur play» et de se laisser guider.

The Velvet Underground – Dans l’effervescence de la Warhol Factory, de Koren Shadmi. La Boîte à Bulles.

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