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BD – Va’a, un carnet de voyage enivrant


Va’a est un carnet de voyage exceptionnel, plein de découvertes et d’humour, réalisé à quatre mains par Benjamin Flao et Troubs. Magnifique !

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Va’a est un album instructif et surprenant, écrit et dessiné sur place avec une grande richesse de styles et beaucoup d’humour. (Images : DR)

C’est un album aussi splendide que surprenant que proposent Benjamin Flao et Troubs chez Futuropolis. Avec Va’a, les deux auteurs cassent toutes les frontières traditionnelles de la BD et proposent un album mêlant, sur le fond, le carnet de voyage, l’histoire d’aventure, le roman graphique, le récit didactique et la BD humoristique, et sur la forme, la BD, le croquis, l’illustration, le dessin industriel… L’ensemble, écrit et dessiné à quatre mains, peut paraître un brin décousu, mais le résultat est bluffant. Le livre a d’ailleurs reçu le Grand Prix Fondation d’entreprise Michelin 2014.

Il a beau faire 159 pages, être plutôt dense, être découpé en chapitres et demander pas mal d’attention, impossible de le quitter des yeux. Va’a, le nouvel album de Benjamin Flao (Kililana Song, La Ligne de fuite, Mauvais Garçons…) et Troubs (Le Goût de la Terre, Viva la vida, La Bouille…), est de ces œuvres qui accrochent le lecteur jusqu’au bout de la nuit si nécessaire, tant il se révèle passionnant aussi bien dans son récit que dans sa forme.

L’histoire est celle des deux auteurs qui, au printemps 2014, se sont rendus dans les atolls des îles Tuamotu, dans le Pacifique, afin de suivre une mission scientifique dont l’objectif était de relancer la fabrication des va’a Motu, les pirogues à voile traditionnelles de Polynésie, délaissées depuis l’arrivée des bateaux à moteur, dans un clair but écologique.

Mais de cette mission, dans l’album, en n’apprendra finalement pas grand-chose. Ce que Va’a propose, c’est avant tout le quotidien sur place des deux auteurs. Deux dessinateurs-auteurs-voyageurs-aventuriers qui, pour remplacer le projet officiel, se lancent le défi de bricoler eux-mêmes une pirogue à voile et voguer avec elle sur les eaux transparentes du lagon de Fakarava.

> Des îles au trésor

Comme deux grands enfants bien décidés à partir à l’aventure. Et advienne que pourra. Grâce à ce projet un peu fou, ils iront à la découverte des habitants de l’île, pour leur demander un coup de main, une bricole ou encore pour découvrir la pêche traditionnelle ou parler avec les anciens de l’histoire et de la vie actuelle dans l’archipel des Tuamotu. Ici, point de suspense inutile, point de révélations fracassantes, point de secrets de famille. Juste la découverte d’un lieu incroyable, d’une population différente. Et la consécration d’un rêve de gosse pour Troubs qui a toujours vu ces îles du Pacifique comme autant « d’îles au trésor ».

Le livre est d’une telle richesse qu’après l’avoir refermé le lecteur a presque l’impression d’avoir effectué le voyage avec les deux auteurs. Fakarava garde certainement de nombreux secrets, mais l’atoll semble désormais incroyablement familier. Aussi bien pour sa géographie, ses aspects sociaux, ses problématiques quotidiennes, ses légendes ou encore son histoire avec, par exemple, son système de secteurs qui faisait que les habitants de tout un village se déplaçaient ensemble de manière saisonnière pour profiter au mieux des richesses de l’île sans jamais épuiser ses ressources. Une « sorte de paradis perdu depuis 1965 et le début du programme nucléaire français, disent les anciennes générations », explique Troubs.

Un carnet de voyage donc, instructif et surprenant, écrit et dessiné sur place avec une grande richesse de styles et beaucoup d’humour. Ainsi, il ne faudra pas s’étonner de lire les humeurs d’une pirogue, de recevoir des leçons de navigation de la part d’un oiseau, de voir un requin regretter que la pirogue n’ait pas emmené les auteurs plus au large pour pouvoir les croquer, de lire une longue conversation entre une poule et ses petits ou encore entre une bande de moustiques qui regrettent de ne pas arriver à piquer la petite fille blonde qui dort sous sa moustiquaire. Bref, un côté gentiment potache qui apporte à l’ensemble un décalage fort sympathique.

Les chapitres se suivent donc sans jamais se ressembler, normal quand on travaille à quatre mains et de manière quasi instantanée. Il y a bien, parfois, quelques répétitions, des transitions un peu étonnantes, mais rien qui viendrait perturber la magie qui opère à la lecture de ce Va’a. Un album qui se termine bien, d’ailleurs, avec la rencontre d’un habitant du coin qui, après avoir vu la voile des deux auteurs, a décidé lui aussi de bricoler sa propre pirogue à voile. Un message d’espoir pour cet atoll que de nombreux lecteurs auront probablement envie de visiter bientôt.

De notre journaliste Pablo Chimienti

Va’a, de Benjamin Flao et Troubs.
Futuropolis