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BD : une année avec Cyril Pedrosa


Quatre ans après Portugal, Cyril Pedrosa est de retour avec un nouveau chef-d’œuvre, Les Équinoxes. Plus qu’une simple BD : 330 pages de bonheur!

Cyril Pedrosa raconte de petites histoires, qui courent sur une année et ses quatre saisons, de gens tout à fait ordinaires. Un récit choral, fait de personnages qui souvent ne se connaissent pas mais qui vont tous jouer un rôle dans une destinée commune. Le récit, alambiqué mais sublime, profond et poétique, est porté et dessiné d’une main de maître par l’auteur.

Cyril Pedrosa. (photo Wikipedia)

Cyril Pedrosa. (photo Wikipedia)

Le Quotidien : Dans Portugal , votre dernier album, et même avant, dans Autobio , vous parliez de votre vie et de votre histoire. Qu’y a-t-il de vous dans Les Équinoxes ?

Cyril Pedrosa : Les livres sont souvent l’occasion de répondre aux questions qu’on se pose. Dans ces Équinoxes , j’ai beaucoup plus utilisé la fiction que dans Portugal , dans le sens où tous ces personnages sont de la pure invention, ce qui leur arrive, aussi. Mais, oui, je mets à l’intérieur d’eux des préoccupations et des questions qui sont miennes. Mais de façon kaléidoscopique. Il n’y a pas un personnage qui me ressemble, mais il y a un peu de moi dans chacun d’eux.

Le livre est une histoire sur la solitude, les regrets – voire les remords – sur la nostalgie. C’est quoi? La crise de la quarantaine?

( Il rit ) Je ne pense pas. Toutes ces questions, sur l’engagement, la confrontation à sa propre solitude, la difficulté à être avec les autres, ce sont des moments qu’on traverse tous à un moment ou un autre dans la vie. Moi, elles m’arrivent maintenant, au moment de la crise de la quarantaine, mais j’ai l’impression que c’est quelque chose de plus profond, de plus existentiel.

Il est donc question de lutte sociale, de combats environnementaux, mais aussi de gens, à l’inverse, déçus par tous ces combats. Des choses réelles. Ce sont ces choses-là qui vous touchent et que vous avez mises dans vos personnages?

Oui, bien sûr, ça fait partie de moi, de mon parcours et de mes questionnements, mais j’essaye de garder, pour chaque personnage, son identité, sa logique, sa cohérence pour essayer de voir ce qui l’anime et essayer de le comprendre. Pour Louis, par exemple, l’idée n’est pas tant qu’il est désabusé par rapport à son engagement, mais il regrette juste de ne pas avoir consacré plus de temps à d’autres choses, comme la lecture.

490_0008_14273879_equinoxes_couvAntoine lui reproche pourtant de ne pas être avec eux dans cette nouvelle lutte contre la création d’un aéroport, qui rappelle aussi une histoire vraie…

Bien sûr, c’est une transposition de l’histoire de Notre-Dame-des-Landes. Les préoccupations autour d’un aéroport représentent à la fois un enjeu très local et quelque chose de national. Et puis, je trouve que c’est un sujet intéressant sur les différentes façons de se mobiliser politiquement. Louis est d’accord avec Antoine et son combat, mais il a un certain âge et il n’y croit plus, c’est tout. Mais il n’y croit plus pour lui-même. Il trouve ça très bien qu’Antoine et d’autres continuent à le faire, que Catherine, dans son secrétariat d’État mystérieux, continue de s’engager, etc.

Vous parlez de Louis, Antoine et Catherine, mais il y a énormément d’autres personnages dans ce récit. D’eux, on ne sait souvent pas grand-chose, même s’ils ont tous un rôle dans un destin commun. Les liens entre eux sont furtifs, presque inexistants.

On sait les choses qui réunissent les personnages, mais souvent de manière parcellaire, c’est vrai. Je me concentre sur des points assez précis, sur ce qui caractérise le personnage ou la relation. Par exemple, le personnage de Catherine : on devine que Louis a été son mentor, qu’ils ont eu un parcours politique commun, que la compagne de Louis a été son institutrice, etc.

Après, qui est vraiment Catherine, quel est son quotidien et qu’est-ce qui l’anime, on n’en sait pas grand-chose. Je mets le projecteur sur des moments précis de leurs existences, qui me paraissent justes par rapport à l’ensemble. Le reste est secondaire. Peu importe après tout de savoir pourquoi Antoine est hébergé chez Louis. L’important est de comprendre que Louis est quelqu’un qui accueille des gens chez lui, sans rien demander en retour.

Il y a beaucoup de va-et-vient dans cet album, celui entre la préhistoire et 2001, celui entre la narration dessinée et une narration écrite, celui entre différents styles de graphisme…

J’avais besoin de ces changements de formes, des différents graphismes et du fait de passer de la BD à la littérature, pour déployer les différentes choses que je voulais présenter. Je ne pouvais pas parler de l’intériorité d’un personnage et décrire de façon très précise ce qu’il ressent dans un instant très bref autrement qu’avec des mots. Mais il fallait trouver des solutions pour faire un livre cohérent. Et pour ça, l’utilisation de différentes formes graphiques s’imposait pour aller de quelque chose d’assez sombre vers quelque chose de plus lumineux.

C’est aussi pour cela qu’on part de l’automne et qu’on va jusqu’en été. Le va-et-vient entre le récit préhistorique et celui contemporain, c’est une couche supplémentaire pour tendre dans le temps cette idée que ces personnages sont tous en relation, qu’ils le veuillent ou non. Ce petit garçon préhistorique, comme tout être humain ayant vécu avant nous, continue à avoir une incidence sur nous. Nous sommes faits de ce qu’ils ont été!

Il faut aussi parler des décors qui sont tellement présents que les personnes semblent être presque des fantômes.

C’est tout à fait ça. Le mot de fantôme est très juste, ça correspond vraiment à ce que j’avais en tête. J’aime assez cette idée qu’il y a quelque chose de permanent dans le monde et que l’humain, lui, ne fait qu’y passer. On arrive sur terre, on disparaît, mais, en même temps, nous laissons tous une trace. C’est une idée qui donne de la valeur à nos vies individuelles.

Prochain album? Rendez-vous dans quatre ans?

Je ne sais pas du tout combien de temps il faudra, car je commence à peine à y travailler, mais ce sera une histoire que je coécris avec ma compagne et qui sera un conte épique et politique, dans un décor médiéval, pas nécessairement réaliste, avec une princesse qui perd le pouvoir et part à sa reconquête. L’idée derrière ça, c’est de présenter le fait que les humains croient souvent que le monde est tel qu’il est, alors que le monde est tel qu’ils le fabriquent, et ce n’est pas du tout la même chose!

Pablo Chimienti

Les Équinoxes, de Cyril Pedrosa. Aire Libre.